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4 février 2022

Le chemin qui reste à parcourir aux Amérindiens

Un classique de 1960 réédité, Pardon aux Iroquois, d’Edmund Wilson, et le récent 10 000 km, de Noé Alvarez, disent un renouveau en demi-teinte.

Grands écrivains nobélisables (Louise Erdrich, Scott Momaday…), créativité tous azimuts, activisme politique: le dynamisme des mondes amérindiens est manifeste. Tel n’était pas la cas lorsque fut mis en œuvre aux États-Unis, entre 1940 et 1960, la tristement célèbre «Termination Policy» («politique de résiliation»), visant à abolir le statut distinct des personnes et des communautés «natives».

Qu’Edmund Wilson (1895-1972) ait entrepris, à la même époque, une vaste enquête, publiée en 1960 sous le titre Pardon aux Iroquois, vibrant plaidoyer en faveur des droits des autochtones et du respect de leur différence, apparaît aujourd’hui étonnamment prémonitoire. À la nouvelle parution en français de cet ouvrage, introuvable depuis une première édition en 1976, répond d’ailleurs 10 000 km, le récit haletant d’un jeune Amérindien d’origine mexicaine, Noé Alvarez. Qui montre implicitement le chemin restant à parcourir, plus d’un demi-siècle après cette enquête prophétique.

Une cérémonie au Sacred Stone Camp, dans le Dakota du Nord, en 2016, lors d’un rassemblement pour protester contre la construction d’un pipeline. HOSSEIN FATEMI / PANOS-REA

Pour Wilson, tout commence par un article publié en 1957 dans le New York Times rapportant que des Mohawk (l’une des tribus iroquoises), hostiles à la construction d’un pont sur leur réserve, squattent, dans le nord de l’État de New York, un territoire dont ils s’estiment de longue date propriétaires. Intrigué par cette lutte qui se déroule à proximité de sa maison de campagne, Wilson déniche une carte des terres attribuées aux Iroquois un siècle et demi plus tôt… pour finir par se rendre compte que son propre terrain s’étend justement dans un secteur litigieux.

En visite sur le squat mohawk, il découvre un campement de plusieurs familles. Une relation chaleureuse s’établit entre Standing Arrow, leader du groupe protestataire, et l’éminent critique littéraire du New Yorker mué en journaliste de terrain. «J’avais pénétré un monde aussi différent des États-Unis que l’est n’importe quel pays étranger, écrit Wilson. Voilà que mon vieil État de New York trouvais à s’insérer dans une histoire qui remontait bien au-delà de sa naissance.

Conscient qu’une plume célèbre est susceptible de servir sa cause, Standing Arrow introduit Wilson auprès du Grand Conseil de la Ligue des six nations. Ce parlement traditionnel, périodiquement rassemblé sur la réserve des Onondaga, assure aujourd’hui encore la continuité d’une organisation paniroquoise longtemps redoutée des autorités coloniales. Wilson, de plus en plus passionné par sa découverte de cette autre Amérique, ne va plus lâcher le fil. Il participe aux danses des célèbres masques «faux visages», aux rituels du Nouvel An. Ses observations de terrain et son enquête historique nourrissent en lui une colère grandissante contre sa propre nation, qui n’a cessé de trahir ses promesses en bafouant les valeurs qu’elle proclamait.

Mais que peut une poignée d’Indiens face aux travaux de barrage du Niagara ou aux gigantesques chantiers de la voie maritime du Saint-Laurent, tellement essentiels à l’économie du continent nord-américain? Wilson reste sceptique, tout en entrevoyant avec justesse, longtemps à l’avance, le renouveau des sociétés amérindiennes. Ce qui vaudra à Pardon aux Iroquois, en 1962, un article enthousiaste de Claude Lévi-Strauss dans le revue L’Homme, recommandant chaudement aux «ethnographes de métier» la qualité de ce «regard neuf».

Long rite de passage

10 000 km, l’émouvant récit de Noé Alvarez, témoigne de la vitalité actuelle de ces communautés, en même que de la profondeur transgénérationnelle de leurs blessures, auxquelles Edmund Wilson s’était révélé sensible en son temps. Élevé dignement grâce aux privations de ses parents, cueilleurs de pommes dans l’État de Washington, Noé parvient à accéder à l’université grâce à une bourse, mais il constate très vite qu’il en ignore les codes et qu’il y demeure marginalisé. Décidant alors de se soumettre à une sorte de long rite de passage, il s’inscrit à une «course pour la paix et la dignité» intertribale.

Cette aventure marathonienne très dure, semée d’étonnantes rencontres tour à tour amicales et férocement racistes, mènera Noé Alvarez, au long de l’Amérique du Nord, jusqu’au Guatemala, parmi un groupe d’autres jeunes coureurs, parfois violents ou suicidaires, en quête comme lui d’une guérison intérieure. Fondé sur un courageux défi physique et mental, raconté avec sincérité, ce périple se termine cependant sur une incertitude quant au bienfait durable qu’une telle épreuve auto-infligée pourra produire.

Il fait ainsi écho, à travers l’espace et les générations, au long rituel iroquois de guérison dit «de la petite eau» auquel, fasciné, Edmund Wilson consacre le dernier chapitre de Pardon aux Iroquois, concluant – en des termes similaires à ceux de Noé Alvarez – qu’une seule cérémonie «contribue puissamment à la force morale des Iroquois».

Marie-Hèlène Fraïssé, Le Monde, 4 février 2022

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