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14 juin 2021

(Re)prendre le large avec Pierre Perrault

Qui a besoin d’un bateau ? Quand il veut prendre le large pour visiter son pays, c’est un blanchon que Pierre Perrault enfourche, pour fendre l’écume et visiter son pays d’îles et d’histoires. Il l’appelle blanchon, mais c’est aussi un marsouin, un béluga, ou un adhotuys, comme l’ont désigné les Amérindiens à Jacques Cartier.

Car le puissant véhicule de Perrault, dont les éditions Lux rééditent Toutes isles, l’un de ses premiers livres et qui avait une importance capitale à ses yeux, c’était la langue. Langue littéraire ou vernaculaire, inspirée des plus grands poètes classiques ou des gens du pays, c’est avec elle qu’il apprend à dire les lieux qu’il découvre.

En plus d’être le cinéaste passionné de direct de Pour la suite du monde, Pierre Perrault était écrivain, et pas des moindres. Chose rare, il a en effet gagné le Prix littéraire du Gouverneur général dans trois catégories différentes, l’essai, la poésie et le théâtre. Et il y a un peu des trois dans Toutes isles, un titre que lui a inspiré Jacques Cartier lui-même, dont Perrault était un grand admirateur.

« Nous passames parmy les isles qui sont en si grant nombre, qu’il n’est possible de les sçavoir nombréz… pourquoi… lesdites isles furent nommées Toutes Isles », écrivait Jacques Cartier dans son journal, cité par Perrault.

« Papa a parlé de Cartier pendant toute sa vie, raconte Mathieu Perrault, le fils de Pierre, qui est à l’origine de ce projet de réédition de l’œuvre de son père chez Lux. C’est un personnage central dans sa démarche. Il nous parle de Cartier qu’il l’a précédé dans son périple, et à son avis c’est celui qui a nommé mieux que quiconque le “pays que Dieu a donné à Caïn” ».

Il s’est retrouvé dans ce pays et il a découvert qu’il n’avait pas le vocabulaire pour le décrire

Car c’est en découvreur que Pierre Perrault aborde son pays. « Un découvreur n’est jamais le premier venu », écrit-il.

Montréalais d’origine, Pierre Perrault a découvert son pays après avoir rencontré sa femme, Yolande Simard, originaire de Baie-Saint-Paul.

La quête d’oralité

« Papa a découvert un pays qu’il ne connaissait pas. Il avait beaucoup lu, souligne Mathieu Perrault. C’était un boulimique de lecture. Il lisait les grands classiques. Mais il s’est retrouvé dans ce pays et il a découvert qu’il n’avait pas le vocabulaire pour le décrire. Il a fait par la suite des documentaires sur les grands fleuves de France, le Rhône, le Rhin ou la Seine, mais il s’est rendu compte que, quand il voulait parler du fleuve, il n’avait pas le vocabulaire. Ça l’a vraiment ébranlé, et c’est un peu là qu’il a commencé sa quête de l’oralité. »

Toutes isles se clôt d’ailleurs sur un glossaire, recueil de mots que Pierre Perrault a glanés au fil d’entrevues avec ces gens du fleuve auprès desquels il a tant appris. Ce glossaire, Mathieu Perrault a insisté pour qu’il fasse partie de cette présente édition, en version augmentée puisque Pierre Perrault travaillait depuis un certain temps à cette réédition de Toutes isles, en griffonnant dans les marges, en ajoutant des passages, au moment de sa mort en 1999.

Papa avait bien compris qu’on était des conquérants à notre façon. On a été conquis, mais il ne faut pas imaginer qu’on n’a pas bousculé l’ordre établi.

Parmi les mots qui ont été ajoutés, on trouve « décœurer : québécisme indiquant qu’on cesse d’être lassé de quelque chose », ou picosser, qui « se dit pour becqueter, en parlant des oiseaux qui cherchent leur nourriture, dans tous les sens ».

« Ce sont des modifications, il a corrigé des phrases, explique Mathieu Perrault au sujet de cette édition revue et augmentée de Toutes isles. C’est son éternel processus de remise en question de sa propre production. C’est de la mise au point costaude, comme papa pouvait le faire. »

Impossible de parler de Perrault sans nommer son intérêt pour la culture autochtone, dont il a compris certains enjeux longtemps avant bien d’autres.

À ce sujet, il écrit ces paroles cinglantes : « N’avons-nous pas payé en monnaie de castor et en monnaie de singe le droit de tout oublier ? », puis plus loin : « Ceux qui ont aboli la torture savent-ils qu’ils sont également génocides ? ».

Mais il a aussi simplement admiré chez les Innus, qu’on appelait alors Montagnais, la patiente démarche de confection du canot. « Avec une minutie d’amant, le soin de choisir l’arbre possible, le cèdre ou le bouleau », « les mains montagnaises […] : longues, délicates, fines… plus ensoleillées aussi ». La confection du couteau croche « pour lequel personne n’a pris de brevet ».

« Papa avait bien compris qu’on était des conquérants à notre façon. On a été conquis, mais il ne faut pas imaginer qu’on n’a pas bousculé l’ordre établi. Il avait énormément de respect pour les cultures autochtones. Il a fait beaucoup de films sur les Autochtones », rappelle Mathieu Perrault.

« Et chaque été les jeunes Montagnais [comme on appelait autrefois les Innus] apprennent de leurs anciens à vivre et à penser dans les termes d’un canot bien fait. Un canot dans leur langage, c’est tout dire ! » écrit Perrault.

Toutes isles a été publié pour la première fois en 1963 et s’est aussi fondé sur la série de treize documentaires Au pays de Neufve France, que Perrault avait réalisée en 1958 et en 1959.

Réédité en 1967, puis en 1990, par Gaston Miron, Toutes isles prend ici la forme définitive que Perrault voulait lui donner avant sa mort.

Caroline Montpetit, Le Devoir, 14 juin 2021

Photo: Jacques Grenier / Le Devoir

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