Recension de Bande de colons
Les lecteur·trice·s d’Alain Deneault connaissent bien sa critique véhémente des rouages du capitalisme, un système qu’il dit au service d’une oligarchie formée de multinationales tentaculaires et de gens fortunés.
Avec son essai Bande de colons: une mauvaise conscience de classe, le professeur de philosophie et de sociologie de l’Université de Moncton poursuit sa réflexion en présentant la colonisation et la création du «Dominion du Canada» comme une vaste entreprise commerciale. Il s’intéresse particulièrement à la figure du colon, qu’il présente comme «les petites mains de l’exploitation coloniale» (p. 13). En s’inspirant des réflexions de l’écrivain Albert Memmi, Deneault distingue toutefois le colonisateur, maitre d’oeuvre de l’entreprise coloniale, du colon, plus ou moins conscient d’être à son service, souvent exploité, mais parfois aussi profiteur d’un système appelé à spolier et à déposséder «l’Amérindien», seul prétendant à la triste figure du colonisé.
Ce portrait démythifié du colon convainc par une argumentation étoffée et une documentation rigoureuse. On espère que ce portrait nourrira la discussion avec les historien·ne·s cité·e·s de même qu’avec les tenant·e·s d’un souverainisme confinant le colon français au rôle de colonisé. La suite de l’essai demeure pertinente, mais ne déploie pas toujours la même force de persuasion. Si le chapitre «L’Irvingnie, une colonie dans la colonie» expose avec éloquence l’influence politique, médiatique et sociale d’Irving dans l’est du Canada, on peine à trouver une telle finesse dans les analyses de L’Île mystérieuse de Jules Verne, du Musée canadien pour les droits de la personne ou de «Hockey Night in Canada». Deneault montre toutefois efficacement la persistance de l’esprit colonial dans les valeurs, les moeurs et les institutions actuelles qui en vient même à influencer l’organisation du travail et l’aménagement du territoire. Ainsi, la croissance des inégalités sociales, la surexploitation des ressources naturelles, voire, le réchauffement climatique, profitent de cette mentalité du colon, inconscient d’être l’outil d’une caste dominante qui veut préserver sa liberté de commercer et de produire.
Pour Deneault, «le colon, qu’il soit ingénieur minier, fonctionnaire à un service d’immigration, agent des relations publiques d’une grande entreprise ou débardeur dans un grand port, amorce son travail d’émancipation lorsqu’il se demande!: qu’est-ce que je fais là!?» (p. 196). L’auteur en appelle donc à une nouvelle conscience de classe, collective, pour bien mesurer notre responsabilité dans les maux de notre époque et mettre fin à notre aveuglement volontaire de colons «vivant comme un privilège le confort formaté dont [nous jouissons] à crédit» (p. 200).
En conclusion de son essai, l’auteur voit le salut de tous dans «des aires politiques régionales tablant sur la production locale» (p. 206). Comme inspiration, il cite l’exemple documenté par l’historien Richard White, ce Middle Ground où peuples des Premières Nations et colons d’origines multiples cohabitaient en réinventant les structures sociales. Une idée noble et mobilisatrice pour clore un ouvrage somme toute captivant.
Christian Tremblay, À babord, no 89, septembre 2021.