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Photo du site du Lagon bleu, en Islande.
17 mars 2022

Premier lagon géothermique en Amérique: le cauchemar laurentien

Un riche promoteur immobilier du Québec nous faisait part, le mois dernier, de son plus récent rêve : la création du premier lagon géothermique en Amérique, à Sainte-Adèle, en plein cœur des Basses-Laurentides. Cette réplique nord-américaine du lagon bleu islandais serait l’attraction principale du village vacances forestier, LaMetsä, imaginé par Louis Massicote, où pas moins de 172 chalets à saveur scandinave seraient répartis, çà et là, au travers d’une forêt qu’il a achetée – rien de moins – en bordure de l’autoroute 15. C’est à différents médias de Québecor que l’ex-président du Village Vacances Valcartier et du parc Calypso confiait son rêve de bâtir un « Disney du Nord » comme s’il en était un commun, accessible et souhaitable.

J’ai pris connaissance du potentiel nouveau développement immobilier alors que je venais tout juste de terminer L’habitude des ruines (2021), remarquable essai écrit par Marie-Hélène Voyer, qui dénonce entre autres choses « notre accoutumance anesthésiée à la démolition » et « cet avachissement généralisé du paysage que l’on provoque au nom de l’orgueil vide de la nouveauté pour la nouveauté ». Plus largement, l’autrice s’interroge sur nos manières d’habiter le territoire à partir de différents cas de pétrification de nos patrimoines bâti et naturel. C’est dans le cadre de la rédaction de mon mémoire de maîtrise que j’ai lu l’essai de Marie-Hélène Voyer, mémoire qui porte justement sur nos manières d’habiter les lacs, ces territoires intimes et fondateurs pour les personnes natives des Laurentides dont je fais partie. Ces mêmes lacs qui sont malmenés d’un côté et privatisés de l’autre au profit de la jouissance éphémère d’une poignée de gens très riches, souvent détenteurs de maisons secondaires dans la région. Cette conjoncture absurde m’a fait me demander comment nous pouvions encore désirer et façonner ce genre d’espaces monstrueux, qui versent grossièrement dans l’imitation de la nature et dont les effets néfastes sur les territoires, qui sous-tendent diverses populations et entités naturelles, sont aussi nombreux qu’évidents. Parce qu’il s’agit bien de ça : de la construction d’un lac artificiel qui « représenterait 6 fois la dimension d’une patinoire de la LNH, comme celle du Centre Bell », tout ça au beau milieu d’« un immense parc forestier presqu’oublié » selon le site de LaMetsä. Autrement dit, on parle d’une forêt en partie non exploitée, qui aimerait sans doute qu’on la laisse tranquille ou, à tout le moins, qu’on ne la transforme pas en un joli décor ultra aménagé, dont le sol serait piétiné par « un millier de visites par jour ».

Quand j’ai lu l’article du Journal de Québec relatant les premiers détails de ce mégaprojet, j’ai aussitôt constaté l’inquiétude que l’annonce générait chez les résidant.es des Basses-Laurentides par l’entremise d’un groupe Facebook. À qui allaient bénéficier ces installations de plaisance ? Quelle serait l’ampleur de la réelle dépense énergétique pour chauffer le lac « 12 mois par année à 38°C » ? Qui allaient subir les dérangements causés par les opérations de déboisement et de dynamitage, mais aussi par l’accroissement inévitable du trafic sur l’autoroute 15 ? Quelles études environnementales et d’acceptabilité sociale allaient être menées en amont d’une première pelletée de terre ? Ces questionnements donnent, d’ores et déjà, à ce rêve des allures de cauchemar pour les résidant.es, qui souhaitent bien plus que des réponses chiffrées comme s’il ne s’agissait que d’une affaire d’argent. Louis Massicotte devrait d’ailleurs en être conscient, lui qui s’est opposé à un mégaprojet immobilier tout près de chez lui, il y a de cela moins d’un an. Pense-t-il vraiment que l’étiquette écoresponsable dont il se targue est crédible et qu’elle lui donne le passe-droit nécessaire pour tout chambarder, mais de manière « renouvelable » ? Est-il au courant de l’existence et de l’extrême vulnérabilité du milieu humide que son projet s’apprête à déstabiliser au nom de cette bonne vieille croissance économique ?

L’économie des Laurentides repose en grande partie sur une industrie touristique mortifère, pour quiconque connait l’histoire récente de la région ou a une vision à long terme du territoire. On n’a qu’à penser au village de Sainte-Agathe-des-Monts, qui ne s’est jamais totalement relevé de l’inévitable chute de son activité touristique, que l’on retrouve désormais dans les villages fardés de Saint-Sauveur et de Mont-Tremblant. Des décennies plus tard, les mauvaises décisions marquent toujours le village, dans lequel les possibilités de communautés ne font que s’atrophier et où il est difficile de se sentir appartenir même quand on y est née. Comme partout dans la province, les gens qui y habitent font face à une grave crise du logement et les organismes communautaires doivent conjuguer avec de maigres ressources afin de prendre soin d’une population grandissante de personnes itinérantes. Pendant ce temps, Louis Massicotte capitalise candidement sur la « frénésie immobilière et l’engouement sans précédent des vacanciers pour les chalets » dans les Laurentides en évoquant « l’alignement des astres » et « la performance des plateformes de location de type Airbnb ». Comme si l’utilisation excessive de telles plateformes ne provoquait pas déjà une inflation immobilière extrêmement dommageable. Tout ça, à moins de 20 km du site où pourrait apparaître La Metsä, ce « village du futur ».

L’idée de vouloir faire « encore plus grand que le réputé Blue Lagoon initial en Islande », logique colonialiste par excellence, devrait être suffisante pour que les drapeaux rouges de la mairie de Sainte-Adèle se dressent afin d’empêcher l’octroi des permis nécessaires. Cet enjeu devrait d’ailleurs inquiéter d’autres régions, puisque Louis Massicotte « veut créer un premier GéoLagon à la perfection, pour ensuite pouvoir copier le même modèle ailleurs ». Les arguments abondent pour nous convaincre que ce projet est une dystopie qui devrait rester à son état de fiction. Il incarne précisément ce qu’on devrait collectivement s’affairer à démanteler : un espace inhabitable et aseptisé, davantage voué à la production de déchets qu’au maintien et à la création des liens qui nous unissent aux autres, à la terre et à notre mémoire. Il me semble que l’héritage que nous sommes en train de laisser aux prochaines générations est déjà bien assez souillé de la sorte.

Rosalie Guay Ladouceur, Le Mouton noir, 17 mars 2022.

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