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14 mai 2021

Plus aucun enfant autochtone arraché: Pour en finir avec le colonialisme médical canadien

After my review of the original version of Dr. Samir Shaheen-Hussain’s book appeared in the journal, I thought a translation might encourage readers to take up the recent French translation. Dr. Shaheen-Hussain’s work is urgent and timely; it promises to fill in knowledge gaps on the part of readers who may know, say, about the residential schools but not about the extent of medical colonialism in Canada. Indeed, the circumstances and outrage surrounding the death of Joyce Echaquan underscore the problem as severe and ongoing.

La résistance rencontrée par la campagne « Tiens ma main », telle que détaillée dans le livre du docteur Shaheen-Hussain, pourrait aider un certain lectorat à reconnaître l’existence de la discrimination et du racisme de nature systémique. Certes, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (la Commission Viens), dont le rapport a été déposé en 2019, a affirmé que ses travaux « ont permis d’établir le caractère systémique de la discrimination dans les relations entre les peuples autochtones et les services publics » (à la page 228). Toutefois, d’aucuns — y compris le premier ministre de la province, le ministre responsable des Affaires autochtones et le ministre de la Lutte contre le racisme — persistent à nier la pertinence de la qualification « systémique » dans le contexte québécois. Il faut souligner, en anticipant une qualification de « Quebec bashing », que la discussion du racisme systémique porte sur le Canada entier (aux pp. 136–147 de la v.f.). Celle-ci expose lucidement la possibilité que la mise en œuvre universelle d’une norme puisse exacerber, voire créer, des désavantages d’une manière discriminatoire. Cette discussion est en ligne avec les conclusions du juge Blanchard, dans l’affaire Hak, que la Loi sur la laïcité de l’État (la Loi 21) « entraîne des conséquences disproportionnées pour les femmes musulmanes » (au par. 67).

Samir Shaheen-Hussain

Plus aucun enfant autochtone arraché : Pour en finir avec le colonialisme médical canadien. Montréal : Lux Éditeur, 2021. 482 pages.

Traduction française de Fighting for a Hand to Hold : Confronting Medical Colonialism against Indigenous Children in Canada. Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 2020. 360 pages.

Plus aucun enfant autochtone arraché est uncompte rendu de la campagne visant à mettre fin à la pratique flagrante consistant à refuser d’accompagner les personnes transportées par avion dans les régions éloignées du Québec en cas d’urgence médicale, une pratique qui a un impact disparate sur les enfants cris et inuits. L’un des éléments clés de la réussite de ce livre est le fait qu’il place la séparation des enfants autochtones de leurs parents ou des autres personnes qui s’occupent d’eux dans un contexte historique et intellectuel plus large, y compris le colonialisme médical au Canada en général. S’il s’agit d’une lecture essentielle, bien que difficile, pour les participants canadiens à des professions telles que la médecine et le travail social, elle est également pertinente pour les personnes impliquées dans l’éducation juridique et la pratique du droit.

Shaheen-Hussain détaille minutieusement la pratique de la séparation des enfants, ses méfaits et les difficultés à y mettre fin. Les enfants autochtones des régions reculées arrivaient dans un hôpital urbain, souvent terrorisés et incapables de parler une langue comprise par le personnel médical. S’ils peuvent les suivre par vol commercial, leurs parents ou d’autres membres de leur famille n’arrivent souvent qu’au moins un jour plus tard. Pendant le traitement initial de l’enfant à l’hôpital, personne ne connaît son histoire médicale. Les efforts précédents pour mettre fin à cette pratique ont échoué, bien que des juridictions comparables aient longtemps autorisé une personne à accompagner un enfant malade. La campagne médiatique visant à mettre fin à cette pratique a nécessité une série de stratégies pendant des mois. Même après que le gouvernement provincial eut accepté de mettre fin à cette pratique, les enfants ont continué d’être transportés seuls par avion et le ministre de la Santé a évoqué des tropes racistes anti-autochtones lors d’une conférence de presse, précisant qu’un soignant « intoxiqué » se verrait refuser l’accès au pont aérien d’évacuation sanitaire (p. 82).

Plusieurs chapitres traitent des déterminants sociaux de la santé, des concepts de racisme systémique et de justice sociale, ainsi que de la culture de l’enseignement médical et de la profession médicale. La partie la plus longue du livre, « Le colonialisme médical et les enfants autochtones », dresse la carte des comportements commis à l’encontre des peuples autochtones du Canada par l’État ou avec sa bénédiction, au regard de la définition du génocide figurant dans la Convention des Nations unies sur le génocide. Ces chapitres relatent l’exposition des Autochtones à la maladie, de la variole à la tuberculose dans les pensionnats ; les expériences menées sur les Autochtones, sans leur consentement ; la cruauté dans les hôpitaux indiens (sic) ; la stérilisation forcée et la contraception coercitive ; et l’éclatement des familles par des interventions de la Protection de l’enfance, des évacuations massives et des disparitions médicales. La dernière partie du livre revient sur les déterminants structurels de la santé et la décolonisation. Elle souligne que le colonialisme se poursuit et fait valoir que les réparations doivent précéder la réconciliation.

Au risque d’éclipser les nombreuses autres réflexions riches du livre, je soulignerai une contribution qui est particulièrement pertinente pour le discours public et la politique au Québec et plusieurs autres qui, à mon avis, s’adressent à un lectorat juridique.

Le point particulièrement saillant au Québec concerne le racisme systémique et ce que les juristes pourraient également appeler la discrimination indirecte ou fondée sur les effets. Shaheen-Hussain raconte combien il a été difficile de persuader le gouvernement provincial que le fait d’exiger que les patients prennent l’avion sans être accompagnés pour recevoir un traitement médical était discriminatoire à l’égard des enfants autochtones. Comment une pratique applicable à tous pourrait-elle être discriminatoire ? Il fournit des données détaillées sur les populations nécessitant une évacuation médicale. Même si la pratique est appliquée à l’échelle de la province, l’hospitalisation d’un enfant blanc de Westmount ou d’Outremont ne le séparerait tout simplement pas de sa famille pendant des heures ou des jours. Au-delà des questions statistiques sur les personnes qui prennent l’avion pour recevoir un traitement d’urgence, Shaheen-Hussain établit un lien entre cette pratique et le colonialisme, notamment la séparation des enfants autochtones de leurs parents pendant des générations. La présentation claire, conceptuelle et factuelle du racisme systémique et de la discrimination fondée sur les effets dans ce contexte pourrait informer ceux qui, au Québec, nient l’existence du racisme systémique, y compris le premier ministre et son cabinet. Ceux-ci insistent par ailleurs sur le fait que la restriction de l’accès aux emplois publics pour les personnes portant des symboles religieux ne peut être discriminatoire si les règles s’appliquent à tous.

Trois points promettent de s’adresser directement aux avocats. Le premier est la discussion de Shaheen-Hussain sur le caractère éthique, en tant que professionnel, de la participation à un système qui nuit à ses bénéficiaires supposés. Même le personnel médical bien intentionné a accepté comme étant normale la séparation des enfants autochtones de leur famille pour des raisons de transit médical. La seconde est qu’il s’est avéré, contrairement à une croyance répandue, aucune politique formellement adoptée n’interdisait la présence d’un adulte accompagnateur lors du transport d’un enfant malade par avion. Il y a là un rappel de la nécessité de remettre en question le sens commun et du poids normatif de la pratique ou de la coutume. La troisième, pour les professeurs de droit en particulier, est la discussion sur le « programme caché », les normes et les systèmes de valeurs transmis d’une génération à l’autre dans et autour des éléments explicites de l’éducation professionnelle. S’inspirant de la littérature sur l’éducation médicale, Shaheen-Hussain soutient que « [l]a transmission de systèmes discriminatoires et oppressifs de normes et de valeurs d’une génération à l’autre au sein de l’establishment médical s’opère aussi par l’entremise d’un “programme d’études caché” » (p. 166). Transmis de manière informelle et incluant des actions, des silences et des plaisanteries, le programme caché peut être « plus marquant que le programme d’études lui-même » (p. 167). Il s’agit d’une incitation sans équivoque pour les professeurs de droit à examiner minutieusement leur programme d’études caché, à la recherche de moyens qui pourraient venir neutraliser ou annuler les innovations récentes apportées dans le sillage du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Plus aucun enfant autochtone arraché serait une réussite pour n’importe quel auteur ; il est étonnant de penser qu’il s’agit du produit du temps libre d’un pédiatre urgentiste. J’espère que ce livre et sa traduction française trouveront le large public qu’ils méritent.

Robert Leckey, Cambridge Core Blog, 14 mai 2021

Lisez l’original ici.

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