L’heure du grand ménage médical
La santé est une obsession occidentale. Le Québec n’échappe pas à la tendance, et moi non plus. Nous n’allons pas toujours bien, mais nous voulons vivre longtemps malgré tout. Par conséquent, nous comptons sur la médecine pour nous aider, pour nous guérir, voire pour nous sauver. En bons Occidentaux formatés par le capitalisme, nous appliquons à ce domaine la même logique qu’aux autres : plus, c’est mieux, donc nous n’en avons jamais assez. Et si nous errions ?
C’est la thèse que défend l’urgentologue Alain Vadeboncoeur dans Désordonnances (Lux, 2017, 344 pages). Il déplore, lui aussi, que l’organisation actuelle de notre système de santé rende trop souvent difficile l’accès à un médecin et il affirme qu’il est temps de corriger cet irritant. Défenseur du régime public, Vadeboncoeur écrit même que « l’État pourrait certainement geler les revenus moyens des médecins pendant quelques années, afin d’attribuer la marge de manoeuvre ainsi dégagée à l’amélioration du réseau ». On reconnaît l’influence du père, le regretté essayiste de gauche Pierre Vadeboncoeur, dans ce souci de la justice sociale.
Relativiser la médecine
L’urgentologue nous invite à aller encore plus loin, à remettre en question notre croyance selon laquelle, en matière de médecine, plus serait toujours mieux. « Mais il faut aussi moduler nos attentes envers une médecine qui n’est responsable que d’une partie de l’amélioration de notre santé », écrit-il.
Au Québec, quand on dit « santé », on entend « médecine ». Pourtant, précise Vadeboncoeur, cette dernière, si elle est importante, ne constitue qu’un élément dans le maintien de notre bien-être. Au XXe siècle, l’espérance de vie s’est allongée de 30 ans, mais seulement « 8 de ces 30 années sont imputables aux soins médicaux ».
L’amélioration des conditions de vie — éducation, travail, environnement — a fait le reste. Il faut donc en remercier, écrit Vadeboncoeur, les « éboueurs, ingénieurs, agriculteurs, constructeurs, réformateurs sociaux, professeurs, syndicalistes, camionneurs, pompiers, policiers, fonctionnaires […] gouvernements et entreprises, n’en déplaise à mes collègues qui croient parfois porter le poids du monde sur leurs épaules où repose leur stéthoscope ».
À titre de médecin, Vadeboncoeur entend néanmoins assumer son rôle en soignant les malades à l’Institut de cardiologie de Montréal et en fournissant une information médicale de qualité à toute la population. Son livre, à la fois rigoureux, bien écrit et plein d’humour, est d’ailleurs le meilleur livre de médecine paru au Québec depuis longtemps.
Joyeux drille, l’urgentologue établit d’abord un diagnostic universel. « Vous êtes fatigué, stressé, vous vieillissez trop vite à votre goût, vous souffrez même parfois de ballonnements, voire de lourdeurs et de maux de tête, note-t-il. Je suis pareil et le diagnostic est évident : vous êtes comme tout le monde. » Cette situation explique le succès de tous ces livres proposant des recettes et cures miracles pour recouvrer la pleine santé. Vadeboncoeur ne joue pas dans ce film.
Le dépistage inutile
À la manière de son ami et préfacier le Pharmachien, un autre sympathique et indispensable luron, l’urgentologue oppose les preuves aux opinions et anecdotes afin de proposer un programme santé, modeste peut-être, mais efficace. Sur le podium des meilleures mesures préventives, il place, dans l’ordre, l’arrêt du tabac, le sport et l’alimentation. « L’exercice régulier demeure le traitement qui a le plus d’effets universels », écrit-il, et « une alimentation simple et variée, avec beaucoup de fruits et de légumes », s’avère le régime idéal. Oubliez ces miroirs aux alouettes que sont la détox et les superaliments. Marchez, mangez des carottes, faites-vous vacciner, et ça ira.
Vadeboncoeur, qui se vante presque de ne pas avoir de médecin de famille, mène aussi la charge contre cette plaie médicale qu’est le surdiagnostic. Quand on va bien, explique-t-il, les bilans de santé annuels ne servent à rien et le dépistage de divers cancers (côlon, sein, prostate) non plus. Ils peuvent même nuire à la santé en imposant des tests pénibles à des bien portants.
Cette thèse explosive, contraire au matraquage médical habituel et dont l’application libérerait d’énormes ressources dans notre système de santé, est solidement défendue, depuis des années, par les médecins américains Nortin M. Hadler (Le dernier des bien portants, PUL, 2008) et H. Gilbert Welch (Le surdiagnostic, PUL, 2012), de même que par leur traducteur québécois, le docteur Fernand Turcotte. Il est d’ailleurs étonnant que Vadeboncoeur ne fasse pas référence à ces ouvrages pionniers, que je chéris parce qu’ils m’ont presque guéri de mon hypocondrie.
Le jour de l’An approche. Lire Vadeboncoeur d’ici là vous donnera de sacrées bonnes idées de résolutions.
« Expliquons mieux le manque de pertinence de certains gestes médicaux, attaquons-nous au surdiagnostic en pleine croissance et limitons la surprescription de médicaments, tous ces problèmes qui grèvent les finances publiques, lestent la pratique médicale et menacent votre santé en prétendant l’améliorer. De l’autre côté, les examens pratiqués doivent être pertinents, notamment pour diminuer l’attente. Les traitements appliqués doivent avoir un impact positif. Les malades doivent être vus rapidement. Ce n’est pas une grande découverte, il faut simplement pratiquer de la bonne médecine. » Alain Vadeboncoeur
Louis Cornellier, Le Devoir, 9 décembre 2017
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