Transhumanisme du Suédois Nick Bostrom, altruisme efficace de l’Australien Peter Singer, long-termisme de l’Ecossais William MacAskill, mais aussi « technoféodalisme », « accélérationnisme efficace », « lumières noires »… La multiplication des notions citées dans cet essai très référencé a de quoi donner le tournis, comme le reconnaît l’auteur. Nul besoin, cependant, de forger de nouveaux concepts, comme le font certains essais technocritiques à la mode : tout est déjà là, en germe depuis longtemps, et nourrit ce qu’Emile Torres considère comme « le système de croyance séculaire le plus dangereux de la planète » : une obsession des pontes de la Silicon Valley pour l’avenir de l’humanité qui s’est infiltrée jusque dans les gouvernements et les universités. Avenir dont eux seuls, bien sûr, détiendraient la clé.
Constat implacable
En remettant ces discours en perspective, Les Prophètes de l’IA nous invite ainsi à « sortir de la sidération » pour mieux discerner les contours de cette « industrie de la diversion ». Car si les stars du secteur, comme Sam Altman (OpenAI), répètent que l’« IApocalypse » est proche, ce n’est pas vraiment pour préserver leur prochain, mais plutôt pour convaincre les dirigeants mondiaux de l’importance de leurs entreprises, s’assurer d’avoir l’oreille du législateur et attirer des capitaux. « La seule fin du monde que les membres de cette élite craignent, c’est la fin de leur monde », résume ainsi Thibault Prévost, dans des termes parfois peu amènes. Elon Musk, Peter Thiel, Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos sont ainsi qualifiés de « sinistres personnages », de « nets négatifs pour le bien commun », de « parasites » ou encore d’« hommes-enfants narcissiques et irresponsables ».