Les prophètes de l’IA: la sidération comme entreprise de diversion
Dévoré cette semaine « Les prophètes de l’IA – Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse » (LUX), du journaliste Thibault Prévost, qu’on connaît déjà pour ses chroniques cinglantes sur le site Arrêt sur images, paraît aujourd’hui dans toutes les bonnes librairies.
Une enquête franche et efficace sur les dessous idéologiques du petit monde de l’intelligence artificielle (qui n’est, comme on le sait, ni intelligente ni artificielle), les grands mouvements dont ses gourous sont alimentés : survivalisme, long-termisme, altruisme efficace, extropianisme et autres barbarismes qui en long, large et travers, font dégouliner dans la presse les « risques existentiels » d’une IA dite « générale » dont il est apparemment préférable de craindre l’hypothétique avènement prochain que d’interroger les modes de production au présent. Le tout bien sûr, largement construit par des figures bien connues, comme le philosophe suédois Nick Bostrom, qui spécule depuis les années 2000 sur la possibilité d’une extinction de l’humanité à cause de l’IA.
Tout cela ne serait pas d’une importance capitale si les évangélistes de ces quasi-églises n’avaient pas pignon sur rue, jusqu’aux administrations américaines, européennes et nationales, qui cèdent un peu trop facilement à cette rhétorique de la peur qui n’est, selon Prevost, rien d’autre que l’autre face de l’économie de promesses à laquelle ces industries participent. Car ce récit est surtout une manière pour elles de cadrer le débat d’une façon qui corresponde à leurs intérêts, ne donnant aucune prise à celles et ceux qui voudraient s’en emparer autrement. Je cite l’auteur, pour qui « Un programme politique se déguise sous les traits d’un débat technologique ultra-polarisé, dont la finalité est de « donner l’impression d’une technologie trop complexe pour être régulée par les non initiés. » (p. 31).
Inquiétantes aussi, les velléités sécessionnistes qui travaillent ce petit milieu, dont les protagonistes ne se lassent pas de fuir, encore et toujours, réellement ou virtuellement, par la fiscalité, la construction de véritables « Gated communities » sur des îles désertes alors que les plus audacieux visent Mars – grand bien leur fasse. De nouveau : « L’obsession pour la catastrophe, la peur irrationnelle et l’IA-anxiété qui traversent la société technique et civile sont le résultat du lobbying patient des intellectuels et patrons dont (…) le dessein est de contrôler les débats sur la technique puis d’empocher les profits qu’ils généreront » (p. 101).
Les tremblements de terre, inondations et autres catastrophes climatiques dont on connaît les causes, et les liens avec cette industrie tentaculaire, ne font bien sûr pas parties de ces « risques » qui menacent avant tout une vision du monde et un seul projet, celui de l’étendre plus encore. « Sortir de la sidération, c’est décrire l’IA au présent plutôt qu’au futur » (p. 154), défend l’auteur. Une lecture conseillée donc, pour l’analyse, la collection édifiantes de faits et de chiffres, et pour les bons mots de l’auteur, bien sûr.
Irénée Régnauld, Mais où va le web?, 25 octobre 2024.
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