Les liens ambigus entre véganisme et capitalisme
L’incipit est fait pour intriguer: «Où l’on parle d’automobiles véganes, du conflit israélo-palestinien et de l’usage de l’intelligence artificielle pour produire du fromage.» Mais, par quelques exemples (la sellerie de voitures en cuir de bambou), le propos s’éclaire vite: il s’agit de montrer (alors que, soit dit en passant, la part des véganes dans les populations occidentales «reste assez stable, oscillant en général entre 0,5 et 1%») comment le recours aux valeurs du véganisme cache souvent des politiques, des stratégies industrielles ou commerciales dont les objectifs n’ont pourtant rien à voir avec «le sort des animaux, la santé des humains ou l’état de la planète». C’est à cette instrumentalisation que renvoie le veganwashing (à savoir «la communication mensongère des entreprises polluantes qui de la sorte vont tenter de verdir leur image»), sur lequel les personnes qui défendent le véganisme se divisent elles-mêmes, les unes pensant que les intentions importent peu pourvu que se réduise «le nombre d’animaux maltraités et tués», les autres estimant qu’il faut à tout prix ne pas couper le véganisme de sa dimension politique ou philosophique, sous peine de le voir réduit à un «simple effet de mode». Journaliste et chercheur à Vienne, en Autriche, et maître de conférence à la Sorbonne, Jérôme Segal établit d’abord un «état des lieux» du véganisme, avant d’analyser en détail les conséquences du veganwashing, et exhumer les «liens ambigus» qu’il peut y avoir entre véganisme et capitalisme, au sens où «c’est incontestablement la quête du profit qui amène les investisseurs à soutenir des projets aussi variés que la viande de culture ou l’élaboration de fromages végétaux selon des recettes conçues par l’intelligence artificielle».
Robert Maggiori, Libération, 11 mai 2024.