L’effet MBC
Mathieu Bock-Côté influence le Québec. Pour le meilleur ou pour le pire ? Ça dépend à qui on pose la question.
«Ça me révolte, ce deux poids deux mesures à l’égard des gens de mon camp. Ça me choque pour vrai ! »
Je trottine dans Paris derrière un Mathieu Bock-Côté sur les nerfs, vêtu d’un élégant costume rayé dont je remarque qu’il est hélas taché de dentifrice au bas du veston. Mais pour l’instant, ce n’est pas le principal souci du sociologue-vedette, bien connu pour ses chroniques dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec ainsi que pour sa participation à l’émission politique La joute, sur LCN. Il est contrarié depuis qu’à sa demande, je lui ai nommé quelques-uns de ses détracteurs interviewés pour ce portrait, car il estime que j’ai fouillé au « fond de la poubelle » pour trouver jusqu’au dernier qui le conspue.
« Dans les faits, j’ai un appui populaire très important auprès de la population et des politiciens. Alors pourquoi tu te sens obligée, au nom de l’objectivité journalistique, de me définir à partir de la petite minorité d’intellos qui m’haïssent à s’en confesser ? » poursuit-il tandis que nous montons dans la voiture nous conduisant à CNews, propriété de Canal+.
La chaîne d’information en continu se spécialise dans le « décryptage et les opinions avec un grand “s”, ne s’interdisant aucun intervenant ni aucun thème », selon la ligne officielle. Le Montréalais y a été recruté en 2021 afin d’animer sa propre émission d’analyse et d’entretiens le samedi soir, Face à Bock-Côté, et pour agir comme éditorialiste quatre fois par semaine à Face à l’info, le show de 19 h. Il intervient aussi tous les jours à la radio privée Europe 1, en plus de participer le dimanche à l’émission Le grand rendez-vous. C’est sans compter toutes les offres qu’il a refusées de la part d’autres chaînes françaises. Jamais un intellectuel québécois n’a rayonné autant sur la scène médiatique européenne, estiment de nombreux experts.
Le temps est doux en ce jeudi soir de mai, mais l’heure n’est pas à la contemplation des lauriers-roses en fleurs alors que le taxi file dans Paris. Mathieu Bock-Côté est aussi fiévreux en privé qu’à la télé ; sa voix a des pointes aiguës lorsqu’il s’enflamme, et ses lunettes à monture noire revolent quand l’exaspération est à son comble.
J’ai toujours été intriguée par ce personnage démesuré, avec qui j’ai beaucoup échangé au tournant des années 2010, à l’époque où il avait une chronique au journal 24 heures. Je n’avais plus de contacts personnels avec lui depuis 10 ans, mais entre-temps, Mathieu Bock-Côté est devenu « MBC », un acteur de la vie publique difficile à manquer. Communicateur atypique au débit mitraillette, joyeux en même temps que belliqueux, « il a su imposer ses codes dans les médias plutôt que de se laisser domestiquer », estime son meilleur ami depuis 20 ans, l’écrivain Carl Bergeron.
Au-delà de l’énergumène, qui s’attribue souvent à la blague le titre de « sauveur de l’Occident », c’est surtout la portée de ses idées qu’il me semble essentiel de creuser. Car l’homme a de l’influence auprès du peuple et des élites. Et le moins qu’on puisse affirmer, c’est qu’en cette « époque de réchauffement global des passions politiques », comme il en convient lui-même, ses opinions ne passent pas comme du beurre dans la poêle. Ni sa manière de s’exprimer d’ailleurs. MBC dérange.
« Je suis probablement l’intellectuel le plus insulté au Québec », me dit-il, moins soucieux des conséquences sur sa personne que sur la quiétude des gens qu’il aime. Les conférences qu’il donne sont souvent encadrées par des services de sécurité, surtout depuis qu’il a été entarté dans une librairie de Québec, en 2017, et il reçoit son lot de menaces de mort, dont une fait actuellement l’objet d’une enquête.
Il ne faut pas chercher longtemps sur les réseaux sociaux pour trouver dans tous les camps des réactions déchaînées par rapport aux prises de position de Mathieu Bock-Côté, ce qui révèle une fracture abyssale sur certains enjeux. Par exemple lorsqu’il affirme que le port du voile en garderie est un « scandale », car il sert à « marquer la présence de l’islam politique dans l’espace public » ; que l’écriture inclusive est une invention des « néoféministes conspirationnistes », qui s’affaireraient en plus à abolir le mâle blanc hétérosexuel ; ou encore quand il s’oppose au « brutal » retrait des catégories « père » et « mère » sur des documents administratifs.
[…]
Les critiques par rapport aux positions de Mathieu Bock-Côté se sont intensifiées depuis quelques années. Dans un documentaire sorti le printemps dernier, Bataille pour l’âme du Québec, la journaliste Francine Pelletier écorche les « nationalistes identitaires », dont MBC serait l’un des leaders. L’essayiste Judith Lussier et le sociologue Mark Fortier lui ont récemment donné des coups de griffe dans leurs ouvrages respectifs (Annulé[e] : Réflexions sur la cancel culture, Les Éditions Cardinal, 2021 et Mélancolies identitaires : Une année à lire Mathieu Bock-Côté, Lux Éditeur, 2019). Et à la fin d’août, Francis Dupuis-Déri, professeur au Département de science politique de l’UQAM, fera paraître un essai dans lequel il accuse le chroniqueur d’être xénophobe (Panique à l’université : Rectitude politique, wokes et autres menaces imaginaires, Lux Éditeur, 2022).
« Systématiquement, depuis des années, Mathieu Bock-Côté parle de l’immigration de manière négative, note le chercheur. À ses yeux, c’est toujours un problème. » Francis Dupuis-Déri fait un parallèle avec des éditorialistes du Devoir dans les années 1930, à l’époque de l’Allemagne nazie. « Ils n’écrivaient pas “mort aux juifs”, mais que le Québec était une terre catholique, et donc qu’on ne pouvait les accueillir. Mathieu, lui, ne dit jamais un mot positif sur l’islam, il juge que c’est une menace existentielle. Et je trouve ça dangereux pour la paix sociale. »
[…]
Lisez l’article complet ici.
Marie-Hélène Proulx, L’Actualité, 3 août 2022.
Photo de Martin Girard ; assistant photo : Vincent Sauriol-Nadeau ; Coiffure et Maquillage : Marilou Bergeron ; Production : Shoot Studio.