L’écriture au service de la mémoire du patrimoine
La professeure de littérature au Cégep de Rimouski et autrice Marie-Hélène Voyer livre ici un essai poignant sur la sauvegarde du patrimoine bâti au Québec. Paru cet automne, L’habitude des ruines pose un regard sur notre héritage bâti à travers une époque de destruction. Comme le titre le mentionne si bien, le patrimoine bâti est l’enfant mal aimé et négligé au Québec. À force de détruire pour reconstruire sans âme, que reste-t-il de notre culture et de notre passé? Cette question est abordée par l’autrice dans des chapitres aux noms tout aussi ironiques que sincères : « Écroulements planifiés », « Laidismes », « Venise au rabais », « Boutique souvenirs », « L’art aux poubelles », etc. Ce constat de la destruction est aussi traité sous plusieurs formes, ce qui est d’autant plus intéressant : patrimoine paysager, patrimoine bâti, patrimoine religieux, patrimoine littéraire, etc. Mme Voyer livre une réelle réflexion sur la façon dont nous, Québécois, occupons le territoire. Avec humour, elle nous amène également à nous questionner sur notre idéal de la beauté, de la laideur et sur notre penchant pour l’imitation des objets vintage : « Comment comprendre la logique derrière ces banlieues banalement cossues qui champignonnent partout? On rase des paysages agricoles, on démolit des maisons patrimoniales authentiques, des traces précieuses et irremplaçables de notre histoire, tout cela pour construire du neuf qui mime l’ancien… »
La réflexion est vaste, passe de la lutte pour la sauvegarde de bijoux architecturaux à l’imitation du vieux, aux chemins de croix, aux constructions de condos qui semblent pousser comme de la mauvaise herbe. L’autrice, native du Bic, rappelle des épisodes bas-laurentiens assez mouvementés, la cathédrale de Rimouski toujours en ruine, le moulin du Petit-Sault de l’Isle-Verte à moitié vivant, et on comprend que les décisions de nos dirigeants tournent rarement en faveur de la sauvegarde de la culture…
Cet essai s’avère nécessaire car il nous rappelle qu’au Québec, on a cette habitude de laisser dépérir nos bâtiments patrimoniaux au profit du neuf moins durable. Celui qui coûte moins cher, qui nécessite moins de main-d’œuvre spécialisée (maçon, ferblantier, etc.) et qui n’est pas régi par les normes strictes du patrimoine historique devient alors plus alléchant pour bon nombre de personnes. Malheureusement, les nombreuses destructions montrent que les bâtiments patrimoniaux ne sont pas des dossiers prioritaires aux yeux de nos dirigeants québécois. Comme le souligne l’autrice, le but de son essai n’est pas de trouver des solutions concrètes à cet abattoir patrimonial, mais bien de faire mémoire aux destructions, de se rappeler que notre culture est aussi notre identité et qu’il faut intervenir avant d’être effacé.
Je vous laisse savourer tout l’humour de l’autrice qui soulève de sérieux constats sur l’état de nos bâtiments au Québec.
Arianne Allard, Le Mouton noir, 4 février 2022
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