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7 avril 2022

La sécurisation culturelle et les promesses non tenues de la CAQ

En tant qu’aidants et soignants qui militons pour des soins dignes et équitables, nous sommes sidérés par la décision du gouvernement Legault de renoncer à sa promesse d’inclure le principe de sécurisation culturelle dans la Loi sur les services de santé et les services sociaux.

Cette décision – dénoncée entre autres par le Conseil des Atikamekw de Manawan, le Conseil de la Nation Atikamekw et l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador – est annoncée alors que le ministre de la Santé et des Services sociaux vient de présenter en grande pompe sa réforme du système de santé. Bien que Christian Dubé nous promette un système « plus humain », il n’y est fait aucune mention de la sécurisation culturelle.

Mettre fin au racisme systémique anti-Autochtone n’est-il même pas une note de bas de page dans la refonte de notre système de soins ?

Le ministre Dubé affirmait pourtant qu’on en avait fini avec « les rapports » et qu’il fallait « passer à l’action ». Qu’en est-il donc des 34 appels à l’action visant le réseau de la santé et des services sociaux du rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (commission Viens), déposé il y a déjà plus de deux ans ?

La recommandation no 74 appelle spécifiquement à modifier la Loi sur les services de santé et les services sociaux « pour y enchâsser la notion de sécurisation culturelle, et ce, en collaboration avec les autorités autochtones ».

Depuis la mort tragique de Joyce Echaquan en septembre 2020, plusieurs Autochtones victimes de racisme au sein du système de santé ont courageusement témoigné de leurs expériences, appelant à la mise en place de mesures de sécurisation culturelle. C’est ce que revendique le Principe de Joyce, qui stipule que « le gouvernement du Québec doit reconnaître le racisme systémique auquel sont confrontés les Autochtones, notamment en lien avec un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé, ainsi que le droit de jouir du meilleur état possible de santé physique, mentale, émotionnelle et spirituelle ».

Dans son rapport à la suite de l’enquête publique portant sur le décès de Joyce Echaquan, la coroner Géhane Kamel recommandait que le gouvernement du Québec « reconnaisse l’existence du racisme systémique au sein de nos institutions et prenne l’engagement de contribuer à son élimination ».

À cela s’ajoutent les voix des milliers de personnes qui ont marché dans les villes du Québec pour témoigner de leur solidarité avec la famille de Joyce Echaquan, sa communauté et sa nation, et les centaines de travailleuses et travailleurs de la santé qui ont signé la lettre ouverte « Le racisme systémique a tué Joyce Echaquan »1.

Une formation décevante

Plusieurs établissements de soins, facultés, ordres professionnels et syndicats sont passés à l’action en adoptant le Principe de Joyce, alors que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), en plus de refuser de faire de même, s’évertue à promouvoir sa formation sur la « sensibilisation aux réalités autochtones » auprès du personnel soignant.

Cette formation a été conçue à l’intention des employés de la fonction publique. D’une durée d’une heure et quarante-cinq minutes, la composante obligatoire de la formation aborde de manière superficielle et historiquement incomplète les impacts de la colonisation sur les Peuples autochtones au Québec. En fait, il n’y est simplement pas question des enjeux touchant à la santé des Autochtones. Dans ce contexte, il n’est pas regrettable que seulement 30 % des employés du réseau de la santé l’aient complétée.

Ayant suivi cette formation obligatoire, nous avons été déçus de ne pas y retrouver mention du colonialisme médical ni du racisme systémique anti-Autochtone dans les soins de santé au Québec. Ni le Principe de Joyce ni la mort de Joyce Echaquan n’y sont mentionnés. Idem pour la sécurisation culturelle, absente elle aussi des contenus, alors que le ministre responsable des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, aurait insisté dernièrement qu’elle était « extrêmement importante ».

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Ian Lafrenière, ministre responsable des Affaires autochtones, a fait savoir la semaine dernière que la sécurisation culturelle ne ferait pas partie de la réforme du système de santé. Il assistait en septembre 2021 à la cérémonie qui soulignait le premier anniversaire de la mort de Joyce Echaquan, le 28 septembre 2021, en compagnie de Geneviève Guilbault, vice-première ministre du Québec.

Rappelons que la notion de sécurisation culturelle, élaborée dans les années 1980 par des infirmières et éducatrices maori, s’inscrit dans une analyse des inégalités structurelles et des rapports de pouvoir coloniaux entre les professionnel.le.s de la santé et les Autochtones2, et va au-delà de la lentille de « l’interculturalisme » privilégiée dans la formation du MSSS.

Sans contenu pertinent ni cadre d’analyse approprié, comment prétendre sensibiliser le personnel soignant aux « réalités autochtones » au Québec d’aujourd’hui ? Clairement, cette formation doit être revue de fond en comble.

Ultimement, il faudra bien plus qu’une capsule de formation obligatoire pour enrayer le racisme structurellement imbriqué à notre système de santé et de services sociaux. Nous devons adopter une approche décoloniale afin d’améliorer les soins de santé prodigués à toute la population au Québec. Pour ce faire, il faut commencer par écouter les appels des communautés autochtones et faire preuve d’un engagement authentique et solidaire en respectant leur autodétermination et leur autonomie.

Dans une optique réparatrice, le gouvernement de la CAQ a l’obligation de respecter sa promesse d’inclure la sécurisation culturelle au sein de la Loi sur les services de santé et les services sociaux durant ce mandat. Plus encore, le Principe de Joyce doit faire partie intégrante de toute refonte du système de santé.

Pour des soins « plus humains », nous ne nous attendons à rien de moins.

Nazila Bettache et Samir Shaheen-Hussain, membres du collectif Soignons la justice sociale*

* Nazila Bettache est médecin interniste, professeure adjointe à la faculté de médecine de l’Université de Montréal ; Samir Shaheen-Hussain est pédiatre urgentiste, professeur adjoint à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université McGill, auteur de Plus aucun enfant autochtone arraché : Pour en finir avec le colonialisme médical canadien

La Presse, 7 avril 2022.

Photo: PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE. Le premier anniversaire de la mort de Joyce Echaquan a été souligné devant l’hôpital de Joliette, le 28 septembre 2021.

Lisez l’original ici.

 

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