J’t’en veux un ti-peu-en-esti
9 ans. Déjà 9 ans que t’es parti, mon esti. Pis j’t’en veux.
J’t’en veux un peu. Pas trop, un peu pareil. J’t’en veux parce que je me sens un peu plus colonisé sans toi. À petit feu. Dans le sommeil de nos fausses ardeurs. Sans ta belle rage de connaisseur. Sans ton aplomb pis ton « retroussage de manches ». Sans ta dégaine de chevalier animal. Sans ton talent de cinéaste.
J’ai lu récemment Un très mauvais ami, correspondance que tu entretenais avec ton pote de longue date, le peintre hollandais Léon Spierenburg. Pis tu sais quoi, j’ai pleuré. J’ai pleuré pis j’ai ri. J’ai appris beaucoup plus sur le cinéma qu’avec n’importe quel livre sur le sujet qui me dit comment finir mon film, comment le commencer pis surtout quoi mettre à la câlice de page 45. J’ai appris les vrais rouages. Le sang, les doutes, les joies pis les manigances de distribution qui, force est de constater, n’ont pas changé d’un chouïa. Je m’ennuie de ta gueule de beau moineau. De ta générosité surtout. Pis de ton écoute. Un cinéaste qui s’écoute, on trouve ça partout. Mais un cinéaste qui écoute, c’est rare comme de la marde de pape.
La dernière fois que j’t’ai vu (je t’ai pas vu souvent), tu t’es arrêté sur la Mont-Royal. J’étais attablé devant une pinte avec un chum. J’t’en ai offert une, t’as prétexté un rendez-vous. Mais t’es resté là à nous jaser un sacré bon bout de temps. T’es parti comme un coureur des bois dans la foule des inconnus, le sourire d’un marin qui reprend le large. Peut-être celui d’un bûcheron qui s’en va faire une dernière corde. Peu importe. T’as remis de la confiance dans mon coeur de douteux. Jamais j’ai eu la chance de te remercier. De te dire à quel point tes films m’ont marqué. Avec leurs défauts si vrais. Ils ne voyageaient pas comme t’aurais voulu. J’ai envie de te dire « pis ça ? ». Ton oeuvre va rester. Ici. Dans le confort de nos sommeils si révélateurs. Parce que t’es une route, un sillon sur une terre noire et escarpée. T’es le marcheur, le guide, la mésange qu’on suit l’hiver dans le sentier de nos doutes. T’étais juste toé, au fond. Pis ce « toé »-là, y faisait du bien. Y respirait. Il prenait parti.
T’étais l’homme de la situation. Le « négatif » pour certains. « L’irrévérencieux » pour d’autres. Les fantômes te traitaient de « vulgaire », de « grossier personnage ». C’est un peu normal. Quand on prend position, ça fait chier à l’endormitoire. À cause de ça, on a voulu étouffer tes images. On n’a pas réussi à tuer tes mots.
Depuis que t’es plus là, j’ai l’impression de croiser de plus en plus de débiles. Des artistes au point de vue malléable. J’te cherche dans un autre. J’te trouve pas. Les poètes, les conteurs, les « faiseux » de rêves. Ils me parlent de folklore en rose, de parlure en mauve, d’images au ralenti sous un soleil couchant jaune endormant. J’te trouve pas.
Avec toi, c’est la mémoire qui s’en est allée. C’est notre épée de Damoclès. Pis c’est pour ça que j’t’en veux un ti-peu-en-esti.
Robin Aubert, 24 images, 14 février 2018
Photo: © Martin Leclerc
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