Les hobos, ces nomades indésirables, poursuivent leur errance en deux livres
Retourner à la poussière. Celle qui étouffe, celle des visages chiffonnés des photos de Dorothea Lange. Celle du Dust Bowl, ce cataclysme écologique qui frappa les plaines américaines, entre les deux guerres, et engendra une vague de migrations vers l’ouest et l’apparition d’une nouvelle figure : le hobo. Un passager clandestin des chemins de fer et de l’histoire, un vagabond en quête de travail, pris entre la misère économique et l’industrialisation forcenée.
Coïncidence, deux ouvrages remettent ces jours-ci au premier plan ces clochards mythiques de l’imaginaire américain comme un contre-feu littéraire nécessaire aux récits proprets et débordants de bons sentiments qui habitent le présent. L’un, signé Simon Harel, trouve un de ses points de départ dans Journal d’un hobo, de Jean-Jules Richard, et rappelle au bon souvenir du présent l’organe contre-culturel Hobo Québec (1972-1981). L’autre replonge dans l’oeuvre de Jim Tully, homme de mille métiers, qui a compris très vite que les lois de la route et de la vie se résumait à la même chose : sauver sa peau.
« Méfiez-vous de tous ceux en qui l’instinct de punir est puissant ! […] dans leur visage on voit parler le bourreau et le chien policier […]. » C’est sur cette citation de Nietzsche que s’ouvre Ombres d’hommes (Shadows of Men), son roman de prison et d’errance, originellement publié en 1930 et illustré par l’artiste William Gropper. D’abord traduit en français, en 1931, il vient d’être réédité ce printemps chez Lux, dans une traduction revue par Cyril Gay.
L’œuvre de ce père du roman noir donne à lire le témoignage de damnés des rails qui, comme des dizaines de milliers d’hommes de l’époque, devinrent des « bohèmes sans domicile ».
Tully écorche une Amérique au cœur de laquelle les charlatans aux remèdes miracles côtoient les renégats tentant d’échapper à l’échafaud. Un monde où la dignité est ravivée sous les traits d’une solidarité singulière, racontée à grand renfort d’histoires que l’on ne saurait jamais gober entièrement. Comme il l’écrit : « Les hobos sont rarement assez naïfs pour croire l’un de leurs semblables. »
N’empêche qu’avec leurs patronymes hérités des déboires qu’on leur attribue (Kneecap, Nitro Dungan, Hypo Sleigh), les personnages d’Ombres d’hommes résument l’expérience humaine en ce qu’elle a de plus sincère. L’espace de dix-neuf courts récits interconnectés, Tully met en scène des misérables lumineux et donne ainsi toute sa légitimité à une contre-histoire de l’époque, où le droit à l’errance est célébré avec une verve similaire à celle dont Jack Kerouac ferait preuve 30 ans plus tard.
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– Ralph Elawani, Le Devoir, 17 juin 2017
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