Défense et illustration du patrimoine bâti
Longer lentement la rue Dugas, à Joliette, m’est un pélerinage mémoriel au pays de mon enfance dont une brève halte devant la maison qui m’a vu grandir (1952‑1968) est le zénith. La préservation de cette maison de brique rouge, 70 ans après sa construction, est un bonheur, car elle incarne le plus heureux temps jadis.
Une telle nostalgie n’est pas, hélas, l’apanage du patrimoine bâti québécois en général. Si l’historien et journaliste Jean-François Nadeau le rappelle fréquemment dans les pages du Devoir, l’essayiste Marie-Hélène Voyer jette un regard périphérique, et fort critique, sur l’état actuel de notre patrimoine bâti dans L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec (Lux, 2022).
L’autrice a des lettres et cela est perceptible du début à la fin de son livre tant par des références sociolittéraires – j’y reviendrai – que par son style empruntant au pamphlet lorsqu’elle manifeste sa désillusion devant le peu d’importance accordée à ce que nos aïeux, d’hier à aujourd’hui, ont érigé sans craindre de se salir les mains pour le mieux-être des leurs tout en pérennisant leur passage sur terre.
L’essai tourne autour de six pivots : «Ressouvenirs», «Laidismes», «Nostalgies sélectives», «Démolitions en série», «Après nous le déluge» et «Ressouvenirs (bis)». On comprend, entre autres, que les édiles municipaux et les promoteurs immobiliers ont peu ou pas d’intérêt dans la préservation des travaux anciens. Ce qu’on ne peut détruire à coups de pelle mécanique, on l’abandonne en espérant qu’il s’autodétruira. Pour eux, l’important est de faire évoluer les municipalités en augmentant les revenus générés par les taxes et leur donner des allures d’une modernité souvent passagère.
Ainsi, le sort réservé au Vieux-Québec dont les lieux historiques ne sont souvent que l’expression d’un certain .«façadisme» est un bon exemple. Autrement dit, on a sauvé la face pour préserver l’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, car à Québec «on se spécialise dans des simulacres voués à donner une idée abstraite de l’authenticité, et où se décline une pléthore de copies et de faux, destinés à vendre un idéal romantique et calcifiant de la ville plutôt que d’en préserver les assises historiques en la relaçant dans la trame assumée du présent et du passé.»
Que dire des villes en bordure du Saint-Laurent, ce bien commun qu’est le majestueux fleuve. Rimouskoise, M.-H. Voyer n’est pas tendre envers cette ville phare du Bas-Saint-Laurent qui, comme d’autres, n’a pas choisi de protéger ses berges de développements urbains à courte vue. Que dire du Richelieu?
Je soulignais les nombreuses références littéraires de l’autrice, lesquelles lui servent à mettre en perspective certaines observations. Qu’il s’agisse de citations tirées de Jacques Ferron, Fernand Dumont ou Arthur Buies, elles permettent une mise en perspective de notre «habitude des ruines». Ainsi, Buies écrit dans «Promenades dans le Vieux-Québec» (1890) : «… on prend aisément pour l’amour de l’antique une monomanie puérile qui s’exerce incessamment sur une foule de petits objets sans importance, qui s’y perd et s’y noie, en laissant de côté les grands traits, les grands souvenirs, les véritables monuments de l’histoire et les leçons qu’ils renferment.»
Marie-H.l.ne Voyer fait œuvre utile grâce aux observations et analyses qu’elle propose dans L’Habitude des ruines : le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec. Peut-on lui reprocher la passion que lui inspire le patrimoine bâti québécois laissé pour compte? Certes pas, car la passion est une énergie essentielle à tout engagement. Lire l’essai non seulement peut, mais doit nous faire réfléchir et, dans la mesure du possible, donner naissance à des actions de mobilisation citoyennes comme celles observées en France pour encourager la sauvegarde du patrimoine bâti.
Jean-François Crépeau, Le Canada français, 25 août 2022.