Décès de l’anthropologue Sylvie Vincent
L’anthropologue amérindianiste Sylvie Vincent est décédée jeudi de la COVID-19, après être brièvement sortie du coma.
« Sans le travail que j’ai fait avec Sylvie, ma poésie ne serait pas la même », disait vendredi la poétesse innue Joséphine Bacon, qui a travaillé durant des années avec Sylvie Vincent dans les communautés innues du Québec, interprétant et traduisant pour elle des témoignages d’aînés.
« Je l’ai connue dans les années 1970, on faisait partie d’un groupe de recherche du laboratoire d’anthropologie amérindienne », se souvient Mme Bacon. Ce laboratoire avait été mis sur pied entre autres par l’anthropologue Rémi Savard, également décédé récemment.
Joséphine collaborait avec Sylvie Vincent dans les communautés, en tant qu’interprète et de traductrice des récits des aînés. Les deux femmes récoltent entre autres des récits anciens sur l’arrivée des Européens dans cette partie de l’Amérique, sur le système de justice ou sur l’art rupestre.
« Elle m’a redonné mon histoire », dit Joséphine Bacon. « On n’a jamais arrêté de travailler ensemble », dit-elle. Les deux femmes avaient notamment toujours comme projet de faire de la recherche sur les étoiles, les maîtres des animaux et les chamanes, dans la perception des aînés innus.
« C’est une grande perte pour moi, mais aussi pour toute la nation innue », a dit Mme Bacon.
Quelques-uns de ces récits ont paru dans la revue Recherches amérindiennes du Québec, que Sylvie Vincent a cofondée il y a 50 ans. Mais plusieurs de ces transcriptions n’ont jamais été publiées.
Sylvie Vincent était reconnue dans le milieu pour sa rigueur et son perfectionnisme. « Elle travaillait très bien », se souvient Joséphine Bacon.
L’anthropologue José Mailhot, qui a notamment publié un dictionnaire de la langue innue, a aussi travaillé avec Sylvie Vincent à partir des années 1970.
Ensemble, elles ont dépouillé les correspondances des missionnaires oblats, pour y trouver des traces de l’histoire innue.
« On s’est promenées dans tout le Québec pendant des mois pour dépouiller des fonds d’archives », se souvient José Mailhot.
Une bonne partie des fruits de ces cueillettes demeurait « dans un grand classeur » que conservait Sylvie Vincent chez elle.
L’anthropologue Serge Bouchard a également beaucoup travaillé avec Sylvie Vincent, avec qui il a notamment partagé une firme de consultants sur les questions autochtones.
« Je viens de perdre une amie de toujours. Nous venons de perdre une anthropologue d’une grande valeur, une alliée indéfectible des Innus, la plus rigoureuse des chercheurs, Sylvie Vincent », a-t-il écrit sur sa page Facebook.
« Sylvie, tu étais derrière la parution de l’œuvre posthume de Bernard sur les Cuivas. Tu étais derrière Le peuple rieur, tu as tellement travaillé dans la discrétion, en retrait. Toujours loin des projecteurs, tu peaufinais, tu vérifiais, tu contre-vérifiais, tu révisais, jusqu’à ce qu’une sorte de perfection se dessine. Les Innus te doivent beaucoup, les anthropologues aussi, ainsi que toute la communauté des chercheurs en ethno-histoire ».
Les travaux de Sylvie Vincent ont porté tant sur la tradition orale que sur la présence amérindienne dans les médias, sur le racisme et l’ethnocentrisme, ou sur le plan Nord. Dans les années 1970, Sylvie Vincent avait notamment publié, avec Bernard Arcand, un livre sur l’image des Amérindiens dans les manuels scolaires québécois.
Récemment, elle était employée par le conseil de bande de Uashat-Maliotenam, et faisait des recherches sur l’occupation du territoire par les Innus.
Diabétique, Sylvie Vincent, qui était atteinte de la COVID-19, a été sous respirateur quelques jours. Elle était sortie brièvement du coma, avant de décéder.
Caroline Montpetit, Le Devoir, 2 mai 2020
llustration: Olivier Zuida / Le Devoir
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