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27 juin 2020

Crise à l’horizon

Louis Gaudreau s’intéresse à la relation entre logement et capitalisme.

Essai rédigé en bonne partie lors d’un congé sabbatique durant lequel Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’UQAM, est devenu chercheur invité au Département de géographie de l’Université de Montréal, Le promoteur, la banque et le rentier se lit comme un roman. Il faut dire que l’homme, formé en travail social, connaît bien son sujet.

Pendant une dizaine d’années, notamment dans les quartiers du sud-ouest de Montréal, tels Saint-Henri et La Petite-Bourgogne, Louis Gaudreau a participé à titre d’intervenant social à de nombreux débats sur la crise du logement. Au début des années 2000, alors que le canal de Lachine se transformait et que Griffintown se développait, il a ainsi pu être témoin des conséquences de l’embourgeoisement des quartiers où les logements étaient autrefois abordables.

Riche de cette expérience, à laquelle s’ajoutent un doctorat en sociologie, une thèse intitulée La fixation du capital dans la propriété foncière et plusieurs recherches sur le marché du logement avec l’IRIS (Institut de recherches et d’informations socio-économiques), il a voulu exposer la relation entre logement et capitalisme à travers trois temps forts de son histoire: l’industrialisation, le fordisme et le néolibéralisme.

Mais à qui donc peut bien s’adresser Le promoteur, la banque et le rentier? Même si on lui a posé la question plusieurs fois, Louis Gaudreau hésite avant de répondre. «J’enseigne à l’université, alors au départ, il y avait peut-être un public étudiant, mais aussi un public de gens engagés dans les luttes pour le droit au logement. Mon ambition était de développer un propos différent de celui qu’on entend habituellement sur ce qu’on appelle le marché de l’habitation afin de montrer que celui-ci a peut-être plus à voir avec la politique et la culture qu’avec des indicateurs qu’on utilise pour nous le présenter, lesquels sont l’offre et la demande, la démographie, le taux de chômage et le niveau des revenus.»

On sent dans ce dense exposé historique et sociologique une volonté de l’auteur d’ouvrir les yeux du lecteur sur sa propre attitude, qu’il soit locataire ou propriétaire, face au marché de l’immobilier.

«Oui, effectivement, mais ça ne se voulait pas culpabilisant. Ce que j’ai essayé de rendre clair, c’est que l’on puisse aspirer à la propriété individuelle de son logement pour pouvoir s’y loger, en faire un usage personnel, familial, car c’est tout à fait légitime. Ce qui est devenu problématique avec le temps, c’est qu’on s’est servi de cette aspiration-là pour construire une société de surconsommation.»

«Aujourd’hui, ce que j’appelle – et je ne suis pas le seul – le capitalisme financiarisé, c’est-à-dire, dans ce cas-ci, l’accès à la propriété, sert aussi et de plus en plus de fonds de retraite. Et ce, indépendamment des intentions des gens. Quand on n’a pas accès à un fonds de retraite, la seule option qui se présente quand on a un peu d’économie, c’est de l’investir dans l’immobilier et de s’assurer que cet actif-là se valorise avec le temps pour assurer ses vieux jours.»

Comme Louis Gaudreau l’explique dans Le promoteur, la banque et le rentier, chaque crise économique ou sociale, que ce soit celle de 1929 ou celle de 2007-2008, bouleverse le marché de l’immobilier. Tandis que la pandémie de COVID-19 se poursuit, il y aurait sans doute matière pour un nouveau chapitre, voire une suite à son essai.

«Je ne serais pas capable de l’écrire. Comme tout le monde, je lis les analystes qui prédisent un effondrement assez important, quoique de courte durée, du marché de l’immobilier. Plusieurs n’auront plus les revenus qu’ils avaient, donc plus les moyens de payer leurs mensualités hypothécaires; ils devront vendre vraisemblablement à perte parce que de plus en plus de gens seront dans la même situation.»

Bien qu’ignorant si l’objectif peut être atteint, Louis Gaudreau rappelle que le gouvernement fédéral a investi beaucoup d’argent afin d’éviter l’effondrement du marché en achetant des actifs à la banque et en autorisant des dépenses de 150 milliards de dollars.

«Ceux à qui ça va faire le plus mal, ce sont ceux qui ont acheté plus récemment à un prix très élevé avant la crise et qui pourraient être dans l’obligation de vendre à un prix moindre. Jusqu’ici, dans certains quartiers de Montréal, ce n’est pas ça qui se passe; on est plutôt dans le “business as usual”.»

Malgré tous les bouleversements à venir, il pourrait y avoir un aspect positif qui résulterait de cette crise, c’est-à-dire qu’elle pourrait mettre fin à la surenchère des prix des logements. Si les propriétaires ont plusieurs raisons de s’inquiéter, les locataires, à la merci de propriétaires voulant augmenter le prix des loyers, ne l’ont pas facile pour autant, la crise sanitaire ayant compliqué la recherche d’un logement.

«Ce qui a toujours été problématique dans l’histoire, ce qui a justifié qu’à plusieurs reprises, et encore aujourd’hui, les États doivent intervenir, c’est la dimension lucrative de la propriété. Ce n’est pas le fait d’avoir son chez-soi qui est le problème, c’est la rente qu’on peut en tirer.»

La crise du logement à laquelle nous risquons d’assister dans les prochaines semaines pourrait être semblable à celle du début des années 2000, quand le taux de vacance était très bas. Déplorant le fait que les gouvernements nourrissent la bête en investissant des fonds publics de manière à maintenir le marché comme il est, Louis Gaudreau signale que la collectivité a aussi un rôle à jouer.

Ce n’est pas le fait d’avoir son chez-soi qui est le problème, c’est la rente qu’on peut en tirer

– Louis Gaudreau

«Ce que je voulais démontrer de manière plus saillante dans mon livre, c’était le fait que souvent, ces phénomènes-là, telle la débâcle montrée comme une conséquence de la pandémie, nous sont présentés comme inévitables alors qu’il me semble qu’ils ont des racines plus profondes, dans les politiques et la culture. Si, collectivement, on a construit ou laissé construire ce système-là, on peut aussi changer les choses, organiser le secteur d’activité du logement d’une manière qui soit plus inclusive, plus accessible et moins lucrative.»

Manon Dumain, Le Devoir, 27 juin 2020

Photo: Adil Boukind / Le Devoir

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