Contre l’oubli… Gaza devant l’histoire
Encore un livre sur Gaza, direz-vous… Celui-ci est sensiblement différent des autres. Écrit à la suite à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, il se définit comme « un écrit en situation ». Ce court essai part d’un double constat, celui« d’une condamnation nécessaire et compréhensible » des actes du Hamas d’une part et d’autre part à l’existence mitigée de la réaction à « la furie dévastatrice et meurtrière déchaînée par Israël au cours des mois suivants ».
« Étonnement, incrédulité, découragement et colère », les mots sont puissants et décrivent l’état d’esprit qui fut celui de l’auteur face à ce qu’il qualifie de tournant par ses conséquences géopolitiques et pour le devenir des des habitantes et habitants d’Israël et de Palestine.
Gaza devant l’histoire n’est pas une nouvelle recension historique de ce territoire, d’autres s’y sont déjà livrés. Le titre pourrait prêter à confusion, sont but est plus l’écriture, la réflexion critique du temps présent pour se prémunir des risques de dérapage idéologique de tous côtés. Toutes et tous, nous avons vécu cet étonnant enfermement du discours ambiant où l’expression d’un soutien au peuple palestinien a muté en acceptation du terrorisme. Écrire l’histoire n’est donc pas le propos de l’ouvrage. Comme l’indique l’auteur « l’historicisation des grands évènements nécessite du temps, des sources établies et accessibles, un regard distancié, un indispensable recul critique ». Pour Enzo Traverso l’heure est à l’observation des « usages publics du passé qu’elle suscite », et à la réflexion sur les éléments que « l’histoire nous donne comme outils pour scruter le présent».
Comment comprendre qu’alors qu’« Israël détruit Gaza sous une pluie de bombes, Israël est présenté comme la victime du « plus grand pogrom de l’histoire après [‘Holocauste » ? ». Voici le questionnement majeur auquel l’historien essaie de répondre par des retours dans le passé pour trouver des équivalences à ce paradoxe.
L’auteur, pleinement conscient que ce qui se déroule à Gaza n’est pas la Seconde Guerre mondiale, n’en relève pas moins des « analogies historiques » dans les « souffrances infligées » aux populations, mais aussi dans cette souffrance extrême « censurée et intériorisée par une société muette » : « J’ai l’impression qu’aujourd’hui la grande majorité des chroniqueurs et commentateurs sont enclins à interchanger les agresseurs et les victimes … [ … ] Depuis le 7 octobre 2023 ( … ) Israël se pose en victime. La destruction de Gaza ? Un excès déplorable dans une guerre d’autodéfense légitime, la réaction outrancière d’un État menacé qui se protège par tous les moyens. »
Voilà le cadre général dans lequel s’inscrit cet essai, celui de l’analyse et la dénonciation d’un entendu, celui du « discours dominant autour du 7 octobre, [faisant] de cette date une sorte d’épiphanie négative, une apparition soudaine du mal d’où jaillit une guerre réparatrice ».
La bande de Gaza est devenue le« berceau du mal[ … ] La réalité, c’est que la destruction de Gaza est l’aboutissement d’un long processus d’oppression et de déracinement». C’est le rôle de l’historien que de mettre en perspective avec le temps long : « Le 7 octobre n’est pas une soudaine explosion de haine, il a une longue généalogie. C’est une tragédie méthodiquement préparée par ceux qui voudraient aujourd’hui être vus comme les victimes. C’est une tragédie qui se déroule encore; il est d’autant plus important de ne pas inverser les rôles ». « 1400 morts palestiniens en 2008, 1700 en 2012, 2 200 en 2014, en mars 2018, 189 morts et 6 000 blessés lors d’une manifestation pacifique contre le blocus et en 2023, avant le 6 octobre, 6 400 palestiniens tués… », autant de données fournies par l’auteur qui appellent à réflexion.
Le 3 novembre 2023, Netanyahou évoquait un passage de la Bible dans un discours largement repris par la presse. « Va maintenant … Tu ne l’épargneras point, et tu feras mourir hommes et femmes, enfants et nourrissons, boeufs et brebis, chameaux et ânes. »
Ce livre est à lire pour comprendre les enjeux idéologiques qui se cachent sous les discours dominants. C’est une alerte contre un génocide.
Dominique Sureau, Alternative libertaire, no 354, novembre 2024.