Le Centre Du Monde, une virée en Eeyou Istchee Baie-James avec Romeo Saganash
Parmi les différentes choses auxquelles Minogami m’a ouvert les yeux, la conscience du territoire québécois prend une place importante. La conscience d’un territoire gigantesque en des termes différents de ceux que l’on connait quand on naît et grandit en milieu urbain et occidental. Concevoir le territoire selon ses cours d’eau, ses bassins versants, ses obstacles, sa végétation, ses possibilités et les gens qui y vivent. J’ai ouvert les yeux sur la vie en région, la «vrai» vie en région. Pas Rimouski, Bécancour ou Saint-Lambert (mouahaha) mais sur un Québec très différent de celui qu’on se représente à Montréal. Dans mon esprit c’est devenu le pays des chemins de quatre-roues, des camions forestiers, des routes en gravier, des shacks abandonnés , du lichen, des épinettes maigrichonnes, et celui des premières nations. Eh oui.
Avec Mino, qui depuis quelque temps a des chantiers intéressants en partenariat avec les Atikamekw, ainsi que certaines expériences en temps que campeur, j’ai développé une fibre pour les points de contact entre notre société bien américanisée de la vallée du St-Laurent et celles du Nord qui vivent l’Amérique autrement, dans d’autres conditions. Ces peuples pourtant voisins, qui ont des conceptions du monde différentes, un parcours différent et des défis différents.
Récemment, la lecture du livre Le centre du monde. Une virée en Eeyou Istchee Baie-James avec Romeo Saganash (2016), par Emmanuelle Walter, m’a donné envie de jaser à ceux qui ont déjà eu, qui ont ou qui auront Minogami dans leur vie. C’est un livre qui parle de la circonscription électorale fédérale d’Abitibi-Baie-James-Nunavik-Eeyou, la plus grande au Canada. 844 000 km carrés allant de Val-d’Or, à la Baie d’Ungava jusqu’au Détroit d’Hudson, avec 80 000 habitants : Abitibiens et Jamesiens «de souche», Algonquins, Cris et Inuits. C’est pas compliqué ; c’est énorme. Ça ne se marche pas comme distances (mais ça se pagaye probablement). Le livre prend la forme d’un petit récit de voyage assez personnel avec ledit Roméo Saganash, un homme de la nation Crie né en nature selon des traditions millénaires, enfant des pensionnats, et aujourd’hui député à Ottawa. À travers sa circonscription et diverses rencontres, on découvre la réalité et le concret de la vie au Nord du Nord : l’état des relations blancs-autochtones, de la question environnementale, du développement (durable?) du Nord, des répercussions de notre fameuse hydro-électricité, de la condition autochtone et particulièrement du peuple cri (une communauté avec un dynamisme et un pouvoir d’action unique au Canada), d’un modèle politique régional inédit et propre au Québec, etc. Bref il se passe là-bas des choses particulières, qui vont prendre part à bâtir le Québec de demain, j’en ai la conviction. C’est quoi la convention de la Baie James? La Paix des Braves? AirCreebec, c’est une compagnie d’aviation autochtone? Ce livre est un petit aperçu bien accessible de tout cet horizon.
À plusieurs moments dans le récit, j’y ai vu Minogami en filigrane. Différentes mentions à la réserve cri de Waskaganish, où la fameuse expédition Broadback termine son périple de 32 jours, à la route du Nord et à la Rupert (autre grande rivière que le camp descendait avant qu’elle ne soit harnachée). On parle aussi du destin de la Broadback et de ses forêts vierges, et même du fameux feu de Forêt qui a sévi en 2013 (comparable en importance à celui de Fort McMurray en 2016). Ce même incendie qui avait fait neiger des cendres sur nos canots, mon groupe et moi, en 2013, nous empêchant d’atteindre la baie James. Ce livre offre l’envers du décor qu’un minogamien observe habituellement depuis son canot rouge braise. Ainsi, je me suis senti concerné par ce que je lisais sur ces pages, comme d’autres au camp pourront l’être. Ce récit sensible et descriptif raconté à la manière d’un souvenir ou d’une anecdote initie le lecteur à différentes facettes de la réalité nordique et fait prendre conscience de bien des implications que notre mode de vie a sur l’environnement et les peuples qui y sont reliés.
Voilà! Je recommande cette lecture bien comestible de 144 pages, dans un style pas compliqué. C’est une lecture de chevet parfaite si t’es gêné de lire devant les autres dans le bus en allant à l’école, ou si ça manque de saveur dans ta routine urbaine. Enfin, et surtout, cette lecture peut surement ajouter une dimension riche à une éventuelle expédition, en des territoires qui ont beaucoup à raconter.
Émile Moreault, Minogamien depuis 2006, 14 mars 2017
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