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1 octobre 2020

Cabale au Canada

En juillet dernier, une professeure de l’université Concordia, à Montréal, a dû s’excuser pour avoir prononcé le « N. word », le mot « nègre » : elle avait cité, en classe, le titre d’un classique de la pensée politique québécoise, Nègres blancs d’Amérique (1968), de Pierre Vallières. Visée par une pétition d’étudiants, la coupable a publiquement admis avoir abusé du « pouvoir » que lui confèrent ses « privilèges » de Blanche et d’enseignante. Plus tôt cet été, une journaliste de la télévision publique avait été suspendue pour avoir mentionné ce livre lors d’une réunion de production. Au moment de sa parution, l’ouvrage entendait associer les mouvements d’émancipation noirs aux États-Unis et québécois du Canada. En 1966, Vallières était même venu à New York rencontrer les Black Panthers. Depuis, son essai est devenu littéralement innommable.

En début d’année, un professeur d’une école secondaire montréalaise avait quant à lui dû retirer de son programme une chanson de Félix Leclerc qui assimilait, par métaphore, le chômage à une mise à mort. Choqué, un parent a obtenu l’annulation de l’étude de 100 000 façons de tuer un homme. La vague qui grossit emporte avec elle des idoles. En 2016, il a fallu moins d’une semaine pour que disparaisse de la toponymie québécoise toute référence à l’un des plus grands réalisateurs du pays, Claude Jutra. Trophées baptisés en son honneur, appellation d’une salle de la Cinémathèque et des rues de plusieurs villes : plus rien ne devait porter le nom de celui à qui on doit des chefs-d’œuvre tel Mon oncle Antoine (1971). La damnatio memoriae a été exécutée quelques jours après la parution d’une biographie du cinéaste révélant qu’il avait commis des actes de pédophilie. Or son cinéma n’en porte aucune trace. Qui pâtit de cette situation ? L’intéressé, décédé au moment des révélations, ou le public, soudain privé de références à des joyaux patrimoniaux ?

Deux ans plus tard, le célèbre metteur en scène Robert Lepage se retrouvait lui aussi au centre des (…)

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Alain Deneault, Le Monde diplomatique, octobre 2020

Image: Bébert Plonk & Replonk. — « Parfois une virgule mal placée peut semer le doute », 2013

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