Bernard Arcand en immersion
Parfois, le soir, les Cuivas dansent au son des maracas et entonnent des airs légers: «Tortue, tortue, nous dansons! Hé! Hé! Nous dansons!» À quelle figure mythique renvoient ces chants? Quand il se renseigne, Bernard Arcand, qui mène une recherche en immersion au milieu de ces chasseurs-cueilleurs nomades de Colombie, s’aperçoit que ceux-ci s’en fichent passablement. Ils dansent parce que «c’est bon», tortue ou pas; chacun peut imaginer ce qu’il veut. D’ailleurs, alors qu’un homme lui explique les mythes en vigueur, un autre vient lui dire: «Moi, je n’en crois rien!» Les trois mondes superposés, l’âme qui se divise en deux après la mort? «Des contes pour enfants.»
L’anthropologue canadien, mort en 200, à 63 ans, n’a pu achever ce livre, une réécriture de sa thèse soutenue en 1972. C’est pourtant un modèle d’enquête ethnographique que l’on découvre enfin, où se mêlent le plaisir du récit, un humour toujours en éveil – celui de l’auteur comme des Cuivas, personnages rieurs – et une sorte d’amitié critique, d’émerveillement passé au crible de l’analyse. Il y a une légèreté, une gaieté du mode de vie cuiva, mais il s’agit aussi d’en montrer la profondeur, de révéler progressivement, dans le portrait de groupe, la mosaïque des individus. Bernard Arcand ne fabrique pas de fétiche. Il regarde, il raconte, il restitue la réalité la plus difficile, la plus précieuse à saisir: la liberté d’un peuple.
Florent Georgesco, Le Monde, 17 octobre 2019.
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