La finance pour expliquer la crise du logement
L’une des causes majeures de la crise du logement que traversent plusieurs grandes villes du monde comme Montréal serait la financiarisation du marché immobilier, soit le fait de considérer la possession d’un immeuble d’habitation comme un investissement avec lequel on souhaite faire le plus d’argent possible, selon Louis Gaudreau, professeur à l’UQAM.
Alors que de plus en plus de familles ont de la difficulté à se loger dans la métropole et que le taux d’inoccupation y a atteint en 2019 son niveau le plus bas en 15 ans, les solutions pratiques tardent à améliorer de façon significative la situation, laissant souvent les ménages à plus faibles revenus dans une précarité durable, surtout lorsqu’arrive la fin des baux, au premier juillet.
Le problème ne serait peut-être pas réglé de la bonne manière, croit Louis Gaudreau, auteur du livre «Le promoteur, la banque et le rentier». Son essai porte sur l’histoire et l’évolution du marché immobilier du 19e siècle jusqu’à nos jours en Amérique du Nord.
«La manière habituelle de présenter la question du logement au grand public, dans les journaux, souvent elle va s’appuyer sur des indicateurs économiques qui vont dire que les prix augmentent parce que l’offre s’est resserrée, la démographie est favorable, et donc il y a plus de demandes pour le logement, il y a plus de pression, etc.» a d’abord expliquée le professeur à l’École de travail social de l’UQAM.
Ces indicateurs économiques, s’ils conservent tout de même leur importance, selon Louis Gaudreau, sont insuffisants à eux seuls pour expliquer l’augmentation du coût des loyers et du prix des logements.
«En ce moment, je dirais qu’un des principaux facteurs, c’est la tendance du marché immobilier à se financiariser, c’est-à-dire la tendance du marché à être soumis à des logiques d’accumulation financière qui sont plus étrangères que jamais à la considération du logement comme un besoin, un droit ou comme un bien d’usage», a-t-il fait savoir.
En somme, les logements deviennent de moins en moins abordables notamment parce qu’ils font partie d’un marché qui tend continuellement à pousser les prix à la hausse. Le logement, plutôt que d’être considéré comme un droit ou un besoin selon le professeur, représente ici un bien financier par lequel il est possible d’engranger des revenus.
«Évidemment, ceux qui ont beaucoup de moyens, ils se font avoir aussi parce qu’ils payent de plus en plus cher pour se loger, mais ils sont encore capables de trouver à se loger, a dit l’auteur. Là où le problème devient le plus manifeste, c’est pour les personnes qui ont des revenus plus modestes, et pas seulement les personnes très pauvres. De plus en plus, ce problème-là touche d’autres catégories de revenu, de ménage, qu’on ne considérait pas comme des personnes pauvres auparavant, et qui deviennent pauvres de par l’augmentation du prix du logement.»
Coronavirus et solutions
La pandémie de la COVID-19 et les bouleversements économiques qu’elle a engendrés n’ont pas eu pour effet, du moins pour le moment, selon le professeur à l’UQAM, de diminuer la pression sur le marché de l’immobilier.
«Des offres multiples sur des logements qui sont mis en marché, il y en a encore beaucoup, a-t-il souligné. Des surenchères sur le prix, c’est-à-dire des gens qui proposent des prix qui sont bien au-delà de ce que le vendeur demandait, ça aussi c’est encore tout à fait monnaie courante, ça s’est maintenu.»
Alors, où se situerait la solution?
«Un constat que l’on peut faire, c’est l’incapacité structurelle du marché de l’habitation à répondre à l’ensemble des besoins, et surtout à ceux qui ont le plus besoin de logements. Pour ça, on l’a déjà fait auparavant et on continue de le faire, mais pas de manière assez importante, c’est de privilégier des formes d’habitation qui sont démarchandisées. Il y a le logement social, le logement communautaire, il y a toutes sortes de formules qui existent», a indiqué Louis Gaudreau.
«Je pense que ces formes-là, elles sont intéressantes dans leur principe, mais l’enjeu à moyen terme, c’est celui du financement, a-t-il noté. Parce que même les coopératives d’habitation, il s’en est construit beaucoup dans les années 1970, les HLM, les différentes formes de logements sociaux, il y en a, mais ça occupe une portion assez marginale du parc résidentiel. On pourrait utiliser le pouvoir public de dépenser pour justement investir dans des formes de logements abordables, et qui restent abordables dans le temps.»
L’essai «Le promoteur, la banque et le rentier» est disponible depuis le 11 juin.
Gabriel Beauchemin, TVA Nouvelles, 17 juillet 2020
Photo: Archives Québecor
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