Alain Deneault: «On est à l’aube d’une conjoncture révolutionnaire»
Il est devenu en quelques années l’un des plus importants intellectuels de la gauche critique du Canada, avec Naomi Klein. En France, Alain Deneault s’est fait connaître en 2013 par une réflexion sur la « gouvernance » comme façon de transformer la politique en discours purement gestionnaire, prétendument rationnel, en management apparemment soft, et en réalité très coercitif. La publication de La Médiocratie (Lux Éditeur) en 2016 le fera connaître du grand public.
Un passage mémorable dans l’émission « Ce soir (ou jamais !) », face à l’économiste Philippe Aghion, futur soutien et inspirateur de Macron, circulera viralement sur les réseaux sociaux en plein démarrage du mouvement contre la loi Travail. Dans cet essai plus que jamais d’actualité, le philosophe de 47 ans soulevait notamment cette vraie question : pourquoi les médiocres sont-ils surreprésentés dans les états-majors des entreprises néolibérales et dans les allées du pouvoir contemporain ? Tirant ce fil, il livrait une réflexion profonde et perturbante sur notre monde, où les individus se voient détruits par l’invasion des normes entrepreneuriales, et soumis sans qu’ils le sachent toujours, jusque dans l’usage des mots eux-mêmes, à des intérêts capitalistiques de moins en moins distincts de la puissance publique.
l publie aujourd’hui Le Totalitarisme pervers aux éditions Rue de l’échiquier, digest passionnant de sa thèse sur la multinationale Total, De quoi Total est-elle la somme ?, qui dispute la première place boursière au groupe LVMH. Autrefois en charge des intérêts pétroliers de la France, désormais majoritairement passée sous capitaux étrangers, la pieuvre Total est ici prise comme emblème de ce que peut produire de pire une firme au-dessus des lois, issue d’une longue histoire de spoliations diverses, d’abus, et de familiarité dangereuse avec tous les pouvoirs. À travers ce cas d’école, Deneault pointe notamment les transferts de souveraineté de l’État vers les multinationales qui furent colossaux depuis quelques années, au point que ce sont quasiment les entreprises du CAC 40 qui choisissent désormais les gouvernants, on le voit, et leur réclament des comptes.
Aujourd’hui de passage dans « La Guerre des idées », il dénonce un monde où les politiques d’« extrême centre » sont en train de priver l’humanité de ses sources vives, qu’elles soient écologiques, sociales ou intellectuelles, mais annonce aussi que des points de rupture dans le système restent possibles. Ainsi à tout moment une étincelle peut-elle selon lui mettre le feu à la plaine. Une bonne nouvelle inattendue dans cet océan de désespérance.
journaliste : Aude Lancelin
réalisation : Jonathan Duong et Cécile Frey
son : Alexandre Lambert et Jérôme Chelius
Là-bas si j’y suis, 3 octobre 2017