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27 janvier 2017

Faire l’indépendance du Québec avec les Autochtones

Cet ouvrage court et de lecture agréable, Le Centre du monde. Une virée en Eeyou Istchee Baie James avec Romeo Saganash, d’Emmanuel Walter (Éditions Lux), nous apprend beaucoup. Avis aux lecteurs pressés : vous ne regretterez pas le temps investi dans ce livre. Quiconque s’intéresse sérieusement à la vision du Québec dans une perspective autochtone sortira enrichi de cette lecture.

Il s’agit, à un premier degré, d’un road movie dans lequel l’auteure accompagne Romeo Saganash, député NPD, dans une tournée de la partie méridionale (là où il y a un réseau routier) de son immense circonscription fédérale. Celle-ci s’appelle Abitibi-Baie James-Nunavik-Eeyou, et s’étend de Val-d’Or au détroit d’Hudson, en passant par Chibougamau, Radisson et Puvirnituq. Elle couvre la moitié du Québec.

Faut-il présenter Romeo Saganash ? Il fait partie de la dernière génération de Cris nés sous la tente. Il a survécu au pensionnat où il a côtoyé l’horreur : la première nuit, on lui a rasé la tête et ôté tous ses habits ; on lui parlait uniquement en anglais, une langue qu’il n’avait jamais entendue.

«Je n’ai pas été maltraité physiquement. Psychologiquement, oui. Autour de moi, je voyais la maltraitance physique et sexuelle. Mais il y avait une telle impunité. Je connais un garçon qui s’est fait violer tous les soirs pendant sept ans.» (p. 112)

Et on se demande pourquoi tant d’autochtones ont été brisés par une souffrance sans nom.

Romeo a malgré tout gardé quelques bons souvenirs du pensionnat :

«J’ai quelques bons souvenirs… Le sport. Hockey, basket, foot, athlétisme. Le seul moment où on pouvait se défouler. On est tous sortis du pensionnat très bons en sports ! Au hockey, on jouait contre les équipes de La Tuque. On se faisait insulter en permanence : «Sauvages, sales Indiens, Kawish. » (p. 112)

L’été, il avait la chance de se ressourcer avec sa famille en pleine nature. Il retrouvait là ses frères et sœurs, éparpillés le reste de l’année dans quatre pensionnats du Québec et de l’Ontario. On ne pouvait même pas les placer au même endroit.

On comprend la réticence de Romeo à vouloir parler de ces années, «parce que le dépassement de soi est une obligation sociale et médiatique». (p. 116) Pourtant, il faut rappeler à l’occasion ce qu’a vécu une génération d’Autochtones à travers le Canada, qui en a été marquée pour toute la vie.  Les pensionnats n’étaient pas un mauvais rêve ; le cauchemar était la cruelle réalité.

Romeo a grandi, a fait des études de droit à Montréal, a voué sa vie à la défense de son peuple et de son droit à l’autodétermination : «J’ai mis 20 ans à convaincre les Cris que les Québécois avaient, eux aussi, le droit de s’autodéterminer» (p. 77).

Il a vécu plusieurs années à Québec pour représenter les Cris auprès du gouvernement du Québec. Il a été l’un des artisans de la Paix des Braves de 2002 négociée avec Bernard Landry. La Paix des Braves est juridiquement une modification de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, signée en 1975 par Robert Bourassa. La Paix des Braves et la Convention sont des règlements hors-cour de litiges majeurs et de conflits politiques spectaculaires.

«Le gouvernement du Québec a su faire fi des conflits du passé […]. Le Canada ne peut pas se targuer d’avoir conclu la Paix des Braves, même s’il s’en approprie tout le mérite dans les forums internationaux. Nous savons d’ailleurs que la présence du Canada lors de la négociation de la Paix des Braves n’aurait fait que condamner tout le processus à l’échec.» (p. 76)

La Convention de la Baie James prévoyait notamment un versement de 250 millions de dollars de 1975 aux Cris par Hydro-Québec en échange de leur renonciation à leurs droits ancestraux. Cette renonciation fut très controversée non seulement chez les Cris, mais dans l’ensemble du monde autochtone.

Les représentants des Cris signèrent sous une pression extrême, convaincus que le développement du réseau de barrages de la Baie James allait se réaliser de toute façon. Ces événements dramatiques ont divisé les Cris jusqu’à ce jour.

Près de 30 ans plus tard, la Paix des Braves est essentiellement issue d’un litige où James O’Reilly, l’avocat légendaire des Cris, invoquait le non-respect de la Convention par le Québec.

La Paix des Braves prévoit un versement de 3,5 milliards $ sur 50 ans par Hydro-Québec, soit 700 millions par année, auxquels se s’est ajouté plus tard 1,5 milliard$, versé par Ottawa. C’est, au total, 5 milliards que les Cris recevront pour le développement hydro-électrique et forestier du Moyen-Nord québécois, sans compter les centaines de millions versés aux Inuit. Est-ce trop cher payé pour la destruction d’une culture traditionnelle ?

Il n’est pas étonnant que le niveau de vie des Cris du Québec soit généralement nettement supérieur à celui de leurs voisins, les Cris de l’Ontario, les Inuit du Grand Nord ou les Anishnabe (les Algonquins) de l’Abitibi. Pourtant, comme leurs voisins, les Cris du Québec vivent des crises du logement et de santé publique, ce qui laisse songeur. L’argent n’est pas le remède à tous les maux.

En 2014, sous Jean Charest, un autre pas est franchi. Une cogestion de l’ensemble de la moitié sud du territoire de la Convention, qui s’étend jusqu’à Chibougamau et Chapais, est instaurée entre les Cris et les Blancs. A terme, la vitalité démographique des Cris (ils seront bientôt 20 000) leur donnera la majorité dans les organismes de cogestion. Seuls les Inuit (environ 20 000 également), grandement majoritaires parmi les résidents permanents du Nunavik (la moitié nord du territoire de la Convention), avaient jusqu’ici obtenu une telle autonomie. Il y a belle lurette que la Loi sur les Indiens ne s’applique plus aux Cris du Québec.

La Convention de la Baie James lie deux des onze nations autochtones reconnues au Québec, les Cris et les Inuit. Les Naskapis, regroupés dans une seule communauté à Schefferville, à la frontière du Labrador, ont obtenu une Convention parallèle. Ces deux Conventions sont les seuls traités modernes au Québec.  Ces trois nations autochtones ont pu créer un rapport de force politique qui leur était favorable en raison de particularités dans la loi fédérale de 1912 qui a transféré leurs territoires au Québec.

A titre de comparaison, les Innus et les Attikameks négocient un traité depuis presque 40 ans, sans succès. Les Innus de Pessamit ont obtenu un maigre 150 000 $ pour le développement du réseau de 14 barrages, dont Manic 5, sur leur territoire ancestral. Il est clair que les Innus ont été floués.

Romeo Saganash a aussi été pendant de longues années l’un des artisans de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée en 2007 malgré les profondes réticences du Canada.

Il a un message pour le peuple québécois : «Il n’y a jamais eu de pays constitué avec la participation des Autochtones. La souveraineté du Québec pourrait en être l’occasion !» (p. 77)

L’auteure ajoute : «J’étais surprise, et Romeo a ri de ma surprise. Mais il parlait sérieusement. (…) Ainsi, Saganash se libère-t-il du passé en rendant hommage au Québec ». (p. 77-78)

André Binette, avocat, L.L.M., juriste en droit constitutionnel et autochtone, L’Aut’Journal, 27 janvier 2017

Lisez l’original ici.

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