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15 mai 2010

L’actualité du cinéma de Gilles Groulx

«Groulx critique une société mue par la consommation, manipulée par les médias et bercée par le divertissement. Il condamne ce dernier qui permet à trop de gens d’oublier qu’ils perdent leur vie en la gagnant», rappelle Jean-Marc Piotte, en préface du livre de Paul Beaucage Gilles Groulx, le cinéaste résistant. Cette critique sociale, au cœur de l’œuvre du réalisateur du Chat dans le sac, possède, près de 30 ans après qu’il eut signé son dernier film, une résonance particulièrement troublante…

À la question «Pourquoi Gilles Groulx?», Paul Beaucage répond: «Parce qu’il a été une figure marquante du septième art québécois des années 1960, 1970, 1980. Il faut admettre que son cinéma — loin d’apparaître comme un simple phénomène de mode — reste indéniablement d’actualité.»

Ce cinéaste phare, gauchiste, trop méconnu des générations montantes, en phase avec les luttes et les hantises de son peuple, méritait l’analyse exhaustive de son oeuvre à laquelle il a droit ici. Paul Beaucage commente dans cet ouvrage très documenté, très référencé, chacune des œuvres de Groulx réalisées essentiellement au sein de l’ONF, avec le couperet de la censure manié ici et là sur des bobines jugées subversives. L’auteur montre à quel point l’éthique et l’esthétique de Groulx ont su se répondre à travers son œuvre, dont l’impact repose aussi sur les immenses talents de monteur de Groulx.

Que l’ONF ait, au cours de la seconde moitié des années 50, formé une équipe française dont plusieurs cinéastes devaient marquer notre cinéma — Gilles Groulx, Michel Brault, Claude Jutra, Fernand Dansereau et Leonard Forest, etc. —, cela appartient à l’histoire. La première collaboration de Groulx et Brault aussi. Leur remarquable Raquetteurs, qui annonçait l’avènement du direct, transformait avec une vérité admirable et un humour ravageur une compétition et une fête de raquetteurs en œuvre emblématique d’une aliénation collective.

Échecs

Paul Beaucage commente sans complaisance les échecs ou semi-échecs de quelques films moins porteurs, Normétal, Primera pregunta sobre le felicidad / Première question sur le bonheur, etc, trop démonstratifs, didactiques ou tronqués par l’ONF. Mais les grandes oeuvres de Groulx, en fiction comme en documentaire ou mêlant les genres, héritent de fines analyses. Le Chat dans le sac, son maître film de 1964, pas de deux entre Claude, un jeune francophone inquiet, et sa copine juive Barbara, plus déterminée, jouant d’oppositions, s’inscrit comme une «œuvre subjective sur la Révolution tranquille», selon l’expression de Beaucage.

«Le cinéaste croit qu’il importe d’éduquer les gens afin que ces derniers appréhendent les nombreux ratés du monde capitaliste. Grâce à cet apprentissage, ils pourront décider de renverser un tel système.» Beau rêve que notre société bientôt individualiste démentira.

Mais à la fin des années 1960, l’utopie tient la route. Le documentaire de Groulx 24 heures ou plus, un an après la Crise d’octobre, tentait de cerner la situation sociopolitique du Québec à travers les mouvements de contestation. Il fut interdit de diffusion, comme On est au coton de Denys Arcand. Sa critique sociale, Groulx la poursuivra en fiction dans son long métrage opéra, composé par Jacques Hétu, Au pays de Zom, portrait d’un capitaliste particulièrement odieux (incarné par le chanteur Joseph Rouleau), offrant des accents plus pessimistes que ses œuvres précédentes. Un grave accident de la route ne permettra à Groulx de ne le monter qu’en 1982, quatre ans après l’avoir entamé. Il sera aussi son chant du cygne.

«L’itinéraire de Groulx est celui d’un rebelle aux multiples causes, lesquelles ont pour dénominateur commun la quête de la dignité humaine et la dénonciation de la médiocrité sociopolitique», précise Paul Beaucage en conclusion. L’auteur aura su démontrer aussi à quel point, à l’heure où le cinéma québécois commercial triomphe à pleins écrans, l’œuvre de Groulx en constitue encore un formidable antidote.

Odile Tremblay, Le Devoir, 15 mai 2010

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