De la démocratie au Québec – La Tribu du verbe
Il est des termes (comme «alternatif» ou «fédéralisme») qui sont utilisés à toutes les sauces, tellement qu’ils en perdent leur sens et deviennent des coquilles vides. Le mot «démocratie» est l’un de ceux-là, trônant au palmarès de la langue de bois. Que ce soit pour justifier l’invasion de l’Irak sous prétexte «d’y apporter la démocratie , ou le nombre de déclarations ou de gestes qualifiés «d’anti-démocratiques» de nos jours, ce terme censé représenter le système politique dans lequel nous vivons est devenu un genre de fourre-tout évoquant des choses bien différentes dépendant de la personne qui l’utilise…
À ce sujet, Michel Lévesque, politologue et historien, vient tout juste de publier chez Lux Éditeur une excellente anthologie sur les débats autour de l’idée de la démocratie, anthologie s’intitulant De la démocratie au Québec. On y retrouve quelques 25 textes publiés entre la Seconde Guerre mondiale et la Crise d’octobre et provenant de sources très variées (abbés, politiciens, syndicalistes, intellectuels et même la GRC). La plupart de ces textes demeurent tristement d’actualité, en ce sens que les problématiques soulevées il y a trente, quarante et cinquante ans, ne sont toujours pas résolues.
D’emblée, on peut constater à la lecture des textes rassemblés dans ce livre qu’il n’existe pas de définition commune de la démocratie. À part la définition classique du «gouvernement par le peuple pour le peuple», chacun des auteurs s’exprimant sur le sujet apporte sa propre définition, et nul n’explique qui fait partie du «peuple» au juste. À la lecture des interprétations que chacun fait pour exposer son point, il est clair que les conceptions de ce qui constitue un régime démocratique sont assez divergentes. D’ailleurs, en colligeant ces textes, l’auteur est tombé sur plus d’une cinquantaine de qualificatifs accolés à la démocratie, comme autant de sous-dénominations.
En entrevue, Michel Lévesque soulève un point qui pourrait expliquer le manque de base commune lorsque nous parlons de démocratie. Selon lui, il n’y a pas de «penseur» de la démocratie (comme Marx pour le communisme ou Bakounine pour l’anarchisme). La démocratie est donc un amalgame de penseurs, ce qui en fait une idéologie et un système politique qui devraient constamment évoluer, se repositionner face aux forces en présence et aux époques.
Alors qu’aux États-Unis on situe la naissance de la démocratie en 1776 avec la déclaration d’indépendance (et sa mort quelque part en 2002), personne ne s’entend sur la date de naissance de la démocratie canadienne. Qui plus est, personne ne semble même s’entendre quant à l’existence de la démocratie au Québec et au Canada. L’une des seule chose sur laquelle la plupart des auteurs tombent d’accord, c’est qu’il ne suffit pas de voter aux quatre ans pour que le système politique soit qualifié de démocratique.
La plupart des questions que l’on se pose aujourd’hui face aux limites de notre système politique se retrouvent déjà énoncées dans ces textes. L’esprit de parti, le financement des partis, le mode de
scrutin, l’information des citoyen-ne-s, le danger de sombrer dans la ploutocratie, autant de questions essentielles sur lesquelles il est intéressant de jeter un coup d’oeil historique. Prenez cet extrait d’un texte de Jean Marchand écrit en 1954, qui pourrait décrire la situation actuelle:
«Les citoyens qui se croient impuissants à exercer une influence sur la politique, qui ne disposent d’aucun moyen pour apprécier les lois en fonction de leurs intérêts et du bien commun, sont des sujets impropres à la vraie démocratie. Par leur apathie et leur ignorance, ils favorisent les recours à la démagogie, permettent la constitution d’oligarchies et détruisent graduellement le sens de la responsabilité chez les hommes politiques. Les caisses électorales deviennent alors toutes puissantes, le ton des campagnes s’avilit, l’esprit de parti ou de caste se raffermit et la corruption prend racine. Par un retour normal des choses, cette situation dégoûte davantage les électeurs qui méprisent la politique et s’en désintéressent de plus en plus».
L’un des textes les plus surprenants est sans doute celui de la GRC, datant de 1952, dans lequel on explique la démocratie aux employés du corps policier. Quelle ne fût pas ma surprise d’y lire que le peuple «possède le droit de renverser le gouvernement en utilisant les moyens légitimes et démocratiques». Malheureusement, les «moyens légitimes et démocratiques» pour renverser un gouvernement par le peuple ne sont pas expliqués…
Notre régime politique actuel traverse une période critique. Il est impératif que les débats autour de l’idée de la démocratie reviennent en masse sur la place publique. C’est ce que démontre cette période de l’histoire québécoise couverte par l’anthologie; se réapproprier les débats autour de notre système politique constitue la meilleure façon de le faire évoluer. Il faut chasser l’idée que nous vivons dans un système qui a atteint sa forme finale, achevée. Une système politique «figé» de la sorte perds sa caractéristique démocratique. Cette anthologie représente une belle invitation à reprendre les débats autour de cette idée…
Bob L’Aboyeur
La Tribu du verbe, 14 avril 2005