À l’heure où Donald Trump lance son pharamineux « Stargate« , une porte aux étoiles impliquant des investissements d’au moins 500 milliards de dollars pour développer massivement l’intelligence artificielle aux États-Unis – un projet qui réunit des acteurs comme Oracle, Soft Bank et Open AI – je me dis qu’il est de temps d’évoquer l’essai techno-critique Les prophètes de l’IA, du journaliste Thibault Prévost qui ne ménage jamais sa plume pour analyser les mécanismes de sidération des prophètes de l’IA.

Le terme de prophète est choisi à raison pour pointer la dimension techno-messianique de ces architectes de la Silicon Valley qui se prennent pour des dieux capables de façonner le monde et d’expliquer à la basse population ce qui serait bon pour elle. Une illustration avec ce tweet de 2022 de Sam Altman, le père de ChatGPT : « nous pouvons coloniser l’espace. Nous pouvons atteindre la fusion nucléaire et déployer le solaire à grande échelle. Nous pouvons guérir toutes les maladies. Nous pouvons construire de nouvelles réalités ». Amen.

En quelques mots, vous avez un concentré de la pensée techno-solutionniste combinée au transhumanisme. Pour Prévost ces hommes sont en mission et nous assistons médusés à leur bonne parole sans parvenir à bien la comprendre, en un sens, nous sommes mystifiés. Il pointe les lacunes du récit médiatique qui oscille entre deux scénarios spectaculaires pour analyser les enjeux, d’un côté l’IA va sauver le monde et de l’autre l’IA va le détruire, mais dans les deux cas les géants de la tech restent au centre du jeu, incontournables et omnipuissants.

En cultivant les espoirs ou en nourrissant les visions apocalyptiques, les prophètes détournent notre regard des conséquences de cette technologie au présent.

Thibault Prévost insiste notamment sur les conséquences désastreuses de l’IA sur la planète

Les mots de Prévost sont forts. Il parle de « pillage » et « d’écocide ». Il revient sur la nécessité de démanteler nos imaginaires autour de l’IA. Cette technologie ne s’établit pas dans la douceur vaporeuse du nuage, du cloud. Non, il faudrait plutôt avoir en tête des lacs pollués, des terres ravagées et des cheminées d’évaporation de centrales nucléaires.

Le pillage, c’est celui des ressources de la planète extraites au péril de leur vie par des enfants du Congo, mais aussi celui de nos données. Les plus faibles sont exploités et les plus privilégiés instrumentalisés. L’essai détaille et critique les courants à la mode dans la Silicon Valley, des « altruistes efficaces » aux « long termiste ». Une idéologie dont peut se réclamer Sam Altman, ou Elon Musk, une vision de monde qui légitime le sacrifice du présent pour mieux préparer l’avenir des générations futures. Par « générations futures », entendez celles qui le méritent, choisies pour leur richesse financière ou prétendue intellectuelle.

« Les Prophètes de l’IA » a le mérite de nous offrir un contrepoint salutaire face aux discours techno-enthousiastes dominant, mais il laisse le lecteur quelque peu désemparé. Si l’auteur milite pour notre « intelligence organique » qui se doit d’être « irréductible et insaisissable », à la fin de la lecture, les pistes, solutions restent, elles aussi, insaisissables… Et on aurait bien aimé une porte de sortie, un salut, mais cet essai ne pouvait sans doute pas tout faire, et encore moins nous promettre des miracles.

Un monde connecté, France Culture, 24 janvier 2025.

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