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Photo de Jean-Philippe Pleau sur une scène avec un micro.
11 novembre 2024

Jean-Philippe Pleau n’est plus le même

Jean-Philippe Pleau admet ne plus être le même depuis qu’il a écrit son roman Rue Duplessis, ma petite noirceur. Pour lui, la période de rédaction de ce roman a eu quelque chose de cathartique. Aujourd’hui, il jette notamment un regard critique sur l’émission Le sportnographe, qu’il a coanimé au microphone de Radio-Canada de 2009 à 2012. Jamais plus il n’oserait rire de gens peu éduqués.

 

«On se moquait de gens un peu comme mon père, qui n’avaient pas eu la chance d’aller à l’école très longtemps, qui étaient devenus joueurs ou entraîneurs de hockey et qui avaient fini leur carrière à la radio avec un micro», a révélé l’auteur et animateur en entrevue avec Le Soleil, après une causerie à la Maison de la culture de Rivière-du-Loup, à laquelle il était invité, dimanche, par la Bibliothèque Françoise-Bédard. «Ils faisaient plein de fautes, a-t-il continué. Nous, on prenait un extrait de radio et on riait d’eux à répétition. Aujourd’hui, on ne pourrait plus faire ça!»

Jean-Philippe Pleau pense ici à Gabriel Grégoire et à Jacques Demers «qui faisaient des lapsus aux deux mots». Si c’était drôle, l’auteur reconnaît maintenant qu’ils étaient «le produit de notre système». «Je ne veux plus rire des individus, mais je veux rire de la société qui rend ça possible.»

Il ne peut oublier les commentaires de certaines personnes qui lui rappelaient combien ceux dont il s’est moqué avaient un grand cœur. «C’était des êtres sensibles et blessés. J’aimerais ça m’excuser sociologiquement à leur égard.» Si l’animateur avait à refaire Le sportnographe, il aurait l’impression de se moquer de son père.

En revanche, le sociologue reconnaît que, tant pour lui que pour Jean-Philippe Wauthier et Olivier Niquette. Le sportnographe leur «a permis d’exister». Il conserve un souvenir impérissable de cette époque où il a appris à développer son sens de l’humour qui surgit maintenant tout naturellement dans ses conférences et ses causeries.

Rencontres marquantes

S’il ne se permet plus de rire de gens pauvres et peu scolarisés, Jean-Philippe Pleau perçoit «une inégalité qui est renforcée par le système». Le cœur et la tête chargés de toutes les émotions qu’il venait de vivre après de touchantes rencontres au Salon du livre de Rimouski, l’auteur de Rue Duplessis est débarqué à Rivière-du-Loup, où l’attendaient quelque 80 personnes. Animée par Stéphanie Robert, artiste-peintre de Cacouna et amie, la causerie avec le romancier natif de Drummondville a donné lieu à des échanges et des témoignages à la fois singuliers et poignants.

Il a tout d’abord raconté des rencontres marquantes qu’il avait faites au cours des deux derniers jours au Salon du livre de Rimouski, dont celle de Jacqueline, qui était sa voisine d’en face sur la rue Duplessis. Il ne l’avait pas vue depuis 35 ans. Depuis qu’elle avait lu son livre, elle lui a dit qu’elle avait envie de le tabasser. Elle lui a demandé pourquoi il avait écrit ce livre.

«Notre conversation a duré 20 minutes. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas eu l’impression d’avoir réellement connu mes parents. Elle m’a demandé si j’avais inventé toute cette pauvreté culturelle, sociale et économique que je nomme dans le livre, cette violence, cette colère, toutes les peurs de mes parents. Elle s’est rendu compte que mes parents ont masqué leur pauvreté derrière des voitures neuves, ont caché leurs peurs parce qu’ils avaient honte. Jacqueline a dit qu’elle comprenait maintenant mieux mon livre et pourquoi je l’ai écrit. Elle m’a remercié d’avoir osé le faire.» L’échange s’est terminé par un égoportrait, après quoi elle lui a dit qu’elle l’aimait.

Transfuge de classe

Plutôt que d’écrire ce livre, le transfuge de classe qui a grandi sur la rue Duplessis à Drummondville aurait pu s’en tenir à 15 ans de thérapie et à ses études en sociologie, croit-il. «L’effet aurait été le même sur moi, c’est-à-dire que je me serais libéré de cette honte, je serais passé de la honte de mes origines à ma honte d’avoir eu honte de mes origines. Je suis sociologue de formation. Donc, j’avais envie de tendre une main vers l’autre. J’ai une parole et j’essaie de m’en servir du mieux que je peux.» Selon lui, le Québec possède une communauté de transfuges de classe qui s’ignorent.

À travers la violence ainsi que les préjugés sexistes, racistes et homophobes dans lesquels il a grandi, le titulaire d’un doctorat en sociologie estime que ses parents sont «des érudits de la sensibilité». «Mais, dans leur coffre à outils, pour gérer leurs émotions, il y avait de la colère et un clou rouillé.» Pour casser le moule, le quadragénaire a su s’entourer de gens sensibles qui ont appris à gérer leurs émotions. Parmi ceux-ci, il a souvent nommé l’anthropologue Serge Bouchard, qu’il a côtoyé étroitement pendant 11 ans, notamment en coanimant une émission de radio avec lui. La poésie de Pierre Perreault lui a aussi beaucoup appris.

«J’excuse sociologiquement mon père et les gens de mon milieu d’origine d’avoir été en colère, violents, homophobes, sexistes, racistes, parce qu’ils sont le produit de notre société», a-t-il laissé tomber.

Ému aux larmes

Le conférencier a été ému aux larmes plus d’une fois, notamment en évoquant la mémoire de la sociologue Caroline Dawson, récemment décédée, ainsi que par certains témoignages provenant de la salle. Une larme a ruisselé sur sa joue lorsqu’il a entendu le récit touchant d’un adolescent qui lui a dit que l’écoute de son émission à la radio l’apaisait. À livre ouvert, celui qui est en garde partagée a raconté, avec courage, qu’il avait l’impression d’être un transfuge de classe, notamment parce qu’il n’a pas assez d’attention chez son père et parce qu’il en a trop chez sa mère. Les yeux rougis par l’émotion, Jean-Philippe Pleau a préféré parler au jeune homme en privé après la causerie.

De 3000 à 53 000 copies de son livre

Le sociologue se dit heureux et impressionné du succès de son livre. «J’ai écrit ce livre-là dans mon bureau en me disant qu’il y aurait 3000 personnes qui le liraient et que ce serait fini», a-t-il avoué en entrevue avec Le Soleil. L’auteur s’est trompé. De 3000 exemplaires qui se sont vendus en quatre jours, le roman Rue Duplessis est en réimpression pour passer à 53 000 copies.

Rue Duplessis ne s’arrêtera pas à la parution d’un livre. «On travaille sur des projets d’adaptation, notamment au théâtre, fait savoir l’auteur. Ça va être annoncé sous peu.»


Johanne Fournier, Le Soleil, 11 novembre 2024.

Photo: Johanne Fournier

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