Jean-Philippe Pleau pense ici à Gabriel Grégoire et à Jacques Demers «qui faisaient des lapsus aux deux mots». Si c’était drôle, l’auteur reconnaît maintenant qu’ils étaient «le produit de notre système». «Je ne veux plus rire des individus, mais je veux rire de la société qui rend ça possible.»
En revanche, le sociologue reconnaît que, tant pour lui que pour Jean-Philippe Wauthier et Olivier Niquette. Le sportnographe leur «a permis d’exister». Il conserve un souvenir impérissable de cette époque où il a appris à développer son sens de l’humour qui surgit maintenant tout naturellement dans ses conférences et ses causeries.
Rencontres marquantes
S’il ne se permet plus de rire de gens pauvres et peu scolarisés, Jean-Philippe Pleau perçoit «une inégalité qui est renforcée par le système». Le cœur et la tête chargés de toutes les émotions qu’il venait de vivre après de touchantes rencontres au Salon du livre de Rimouski, l’auteur de Rue Duplessis est débarqué à Rivière-du-Loup, où l’attendaient quelque 80 personnes. Animée par Stéphanie Robert, artiste-peintre de Cacouna et amie, la causerie avec le romancier natif de Drummondville a donné lieu à des échanges et des témoignages à la fois singuliers et poignants.
Il a tout d’abord raconté des rencontres marquantes qu’il avait faites au cours des deux derniers jours au Salon du livre de Rimouski, dont celle de Jacqueline, qui était sa voisine d’en face sur la rue Duplessis. Il ne l’avait pas vue depuis 35 ans. Depuis qu’elle avait lu son livre, elle lui a dit qu’elle avait envie de le tabasser. Elle lui a demandé pourquoi il avait écrit ce livre.
«Notre conversation a duré 20 minutes. Elle m’a dit qu’elle n’avait pas eu l’impression d’avoir réellement connu mes parents. Elle m’a demandé si j’avais inventé toute cette pauvreté culturelle, sociale et économique que je nomme dans le livre, cette violence, cette colère, toutes les peurs de mes parents. Elle s’est rendu compte que mes parents ont masqué leur pauvreté derrière des voitures neuves, ont caché leurs peurs parce qu’ils avaient honte. Jacqueline a dit qu’elle comprenait maintenant mieux mon livre et pourquoi je l’ai écrit. Elle m’a remercié d’avoir osé le faire.» L’échange s’est terminé par un égoportrait, après quoi elle lui a dit qu’elle l’aimait.
Transfuge de classe
Plutôt que d’écrire ce livre, le transfuge de classe qui a grandi sur la rue Duplessis à Drummondville aurait pu s’en tenir à 15 ans de thérapie et à ses études en sociologie, croit-il. «L’effet aurait été le même sur moi, c’est-à-dire que je me serais libéré de cette honte, je serais passé de la honte de mes origines à ma honte d’avoir eu honte de mes origines. Je suis sociologue de formation. Donc, j’avais envie de tendre une main vers l’autre. J’ai une parole et j’essaie de m’en servir du mieux que je peux.» Selon lui, le Québec possède une communauté de transfuges de classe qui s’ignorent.
«J’excuse sociologiquement mon père et les gens de mon milieu d’origine d’avoir été en colère, violents, homophobes, sexistes, racistes, parce qu’ils sont le produit de notre société», a-t-il laissé tomber.
Ému aux larmes
Le conférencier a été ému aux larmes plus d’une fois, notamment en évoquant la mémoire de la sociologue Caroline Dawson, récemment décédée, ainsi que par certains témoignages provenant de la salle. Une larme a ruisselé sur sa joue lorsqu’il a entendu le récit touchant d’un adolescent qui lui a dit que l’écoute de son émission à la radio l’apaisait. À livre ouvert, celui qui est en garde partagée a raconté, avec courage, qu’il avait l’impression d’être un transfuge de classe, notamment parce qu’il n’a pas assez d’attention chez son père et parce qu’il en a trop chez sa mère. Les yeux rougis par l’émotion, Jean-Philippe Pleau a préféré parler au jeune homme en privé après la causerie.
De 3000 à 53 000 copies de son livre
Rue Duplessis ne s’arrêtera pas à la parution d’un livre. «On travaille sur des projets d’adaptation, notamment au théâtre, fait savoir l’auteur. Ça va être annoncé sous peu.»
Johanne Fournier, Le Soleil, 11 novembre 2024.
Photo: Johanne Fournier
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