Miséreux exploité
L’écrivain italien Alberto Prunetti a été pizzaiolo payé au black au pays de madame Thatcher. Il raconte sa descente aux enfers.
Faut pas que ça traîne, faut y aller, hop hop!, un roman, c’est comme la vie: ça secoue. Alberto Prunetti carbure vite et bien. Il a la gouaille du désespoir: un swing chevillé à la langue et un humour rivé aux tripes. Dans Amianto, il revenait sur la vie de son père, prolo et fier de l’être, mort prématurément vaincu par l’amiante. Dans Odyssée lumpen, il raconte sa propre odyssée du travailleur.
Alberto Prunetti quitte une Italie «au bout du rouleau» et s’en va vivre la vie des miséreux exploité. Le voilà payé au black au pays de la Dame de fer. À Bristol, il marne dans une pizzéria, payé à la pièce, sept jours sur sept, «au-dessous du salaire minimum britannique. Sans day off. Sans holyday pay. Sans National Insurance. Sans heures supplémentaires». Ses études supérieures ne l’ont mené qu’au chômage, il est un «cerveau en fuite» qui pétrit la farine et l’eau, moule des margherita «en hommage» à Margaret Thatcher.
Surtout, Alberto Prunetti regarde, engrange et raconte avec son parler trépidant le monde des travailleurs, clandestins ou pas, tous esclaves d’un libéralisme toujours plus outrancier, tous à espérer grignoter un peu de bonheur. Il met en scène ses camarades de labeur avec fantaisie et tendresse. «Canailles de tous les pays, unissez-vous!» pourrait être un mot d’ordre lancé à la barbe des ignorants : oui, une littérature sociale et politique existe bel et bien. La preuve.
Martine Laval, Siné mensuel, no 138, mars 2024.