Marie-Hélène Voyer au secours de notre patrimoine
Marie-Hélène Voyer enseigne la littérature au Cégep de Rimouski. Ce printemps, deux de ses publications recevaient le Prix des libraires du Québec : Mourons des champs, dans la catégorie poésie, et L’habitude des ruines. Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec dans la catégorie essai. Ce dernier aborde les thèmes du patrimoine bâti, de l’occupation du territoire, de l’urbanisme et de la culture. Dans un style poétique, polémique et autobiographique, Marie-Hélène Voyer signe un texte très documenté et superbement écrit.
Réagissons!!
Cet essai socio-historique, culturel et littéraire « se veut un pavé lancé contre notre accoutumance anesthésiée à la démolition, une dénonciation de la laideur lancinante, du lissage permanent – à la fois social et historique – de nos villes… » En effet, au Québec, 3000 bâtiments anciens sont démolis chaque année.
À partir de nombreux exemples, sources à l’appui, Marie-Hélène Voyer aborde en six chapitres divers aspects de la situation désolante de notre patrimoine bâti, le tout accompagné de réflexions et de textes littéraires.
Dès 1954, Gabrielle Roy dénonçait la situation des croix de chemin dans Alexandre Chenevert: « Un Christ surgit au bord du chemin national. Il était relié par des fils électriques à un poteau de l’Hydro-Québec. Au dos, il portait tout un appareil à demeure ; câbles tressés filins, une boîte à fusibles sans doute. Alexandre se demanda s’il n’y avait pas aussi un compteur enregistrant le nombre de kilowatts que le Christ pouvait consommer la nuit, lorsqu’il devait être allumé ; si le Christ s’allumait automatiquement ou, ce qui paraissait plus probable, si quelqu’un du voisinage venait à heure fixe pousser quelque levier de l’appareil. »
Liberté / Fridöm
Voyer dénonce le complexe résidentiel Fridöm de Saint-Hyacinthe, « un exemple criant d’indécence et d’indignité camouflées sous un nom qui évoque tout à la fois un havre de liberté et un spectacle de cirque. Dans son centre-ville marqué par une pénurie de logements abordables – 90% des résidents y sont locataires –, on a jeté à la rue une vingtaine de résidents de la rue Saint-François pour faire place à un projet immobilier de 35 millions de dollars du Groupe Sélection qui promet de faire rouler l’économie du centre-ville. Une résidence de luxe de huit étages destinés il va sans dire à une distinguée clientèle d’ainés actifs. » Elle cite Isabelle Hachey qui, dans sa chronique à La Presse, affirmait « qu’il y aurait donc de bons vieux et des mauvais vieux ». C’était en 2019, on connaît la triste suite de ce projet.
Saccages
Que dire du saccage du patrimoine et de l’art public? Plusieurs cas sont cités dont la sculpture Lac Saint-Jean stylisé de Jordi Bonet, accrochée au mur de l’édifice Bell à Dolbeau-Mistassini jusqu’aux rénovations de 1992 où l’on a jeté la céramique dans le fond d’un conteneur à déchets!
Maisons, églises, oeuvres d’art, paysages… tout y passe! Mais l’autrice ne baisse pas les bras : « J’écris parce qu’en cette époque de pandémie et de bouleversements climatiques, d’inégalités, de pauvreté et de violences ahurissantes, il importe de trouver des refuges, des lieux où pourrait s’épanouir, pour le plus grand nombre possible, quelque chose comme la vie bonne. »
Un titre incontournable. Si seulement nos élus pouvaient le lire…
Anne-Marie Aubin, Mobiles, 24 août 2023.
Lisez l’original ici.