En 1990, l’artiste Annie Sprinkle invitait le public à regarder son vagin
Retour sur l’une des performances les plus marquantes d’une icône féministe et post-porn.
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Vous avez sans doute déjà vu un col de l’utérus en dessin, ou sur une échographie, peut-être. Mais avez-vous déjà observé cet organe en vrai, sans le filtre du papier ou du moniteur vidéo ? À moins que vous ne soyez gynécologue, la réponse est très probablement négative.
Trente ans avant que le clitoris ne devienne un emblème féministe et alors que les représentations du sexe féminin manquaient cruellement de réalisme, l’artiste Annie Sprinkle a opté pour une méthode radicale et plus concrète que jamais. Figure incontournable de la scène queer et post-porn, Ellen F. Steinberg, de son vrai nom, est originaire de Pennsylvanie. Travailleuse du sexe, performeuse, chercheuse et militante écoféministe, celle-ci s’est choisi un nom de scène humide, “sprinkle” signifiant “arroser” en français.
C’est en 1990, dans le cadre d’un projet intitulé Annie Sprinkle Post-Porn Modernist, que sa performance Public Cervix Announcement voit le jour. Un jeu de mots malicieux que l’autrice allemande Stephanie Haerdle traduit par “un message d’intérêt pubique” dans son ouvrage Fontaines – Histoire de l’éjaculation féminine de la Chine ancienne à nos jours
Un exposé plus vrai que nature
Pour une plus grande connaissance du sexe féminin, Annie Sprinkle met son propre corps au service de l’éducation sexuelle, dans les musées et théâtres d’une douzaine de pays. Sa performance mémorable commence par un exposé sur l’appareil génital féminin : aidée de schémas, elle explique où se situent l’utérus, le col de l’utérus, les ovaires, les trompes de Fallope…
Après la théorie, place à la pratique : l’artiste urine, lave ses parties génitales et prend place dans un fauteuil où elle s’installe en position quasi allongée. Les jambes largement écartées et un spéculum ouvert inséré dans le vagin, la performeuse invite le public à s’approcher pour regarder son col de l’utérus.
Avec le sourire, celle-ci fournit une lampe torche à son audience pour plus de visibilité, et lui demande de commenter ce qu’elle voit. “L’atmosphère que crée Annie Sprinkle lors de cette performance ne plonge ni dans le voyeurisme ni dans l’exploitation. L’échange de regards et de paroles est plein de tendresse et d’émotion, ainsi que le rapporte Mithu M. Sanyal, qui assiste à la performance de Sprinkle au Museum Kunstpalast de Düsseldorf”, détaille Stephanie Haerdle.
“Ni le vagin ni le col de l’utérus n’a de dents”
Pour Sprinkle, cette performance n’a pas vocation à briser le mystère qui entoure le sexe féminin : “Vous ne pourrez jamais démystifier un col de l’utérus. C’est un magnifique miracle, la porte de la vie elle-même. L’une des raisons pour lesquelles j’expose mon col de l’utérus est de montrer aux personnes mal informées, qui semblent appartenir principalement à la population masculine, que ni le vagin ni le col de l’utérus n’a de dents”, détaille-t-elle sur son site.
Loin des chiffres et données scientifiques crus et impersonnels, l’artiste œuvre pour une connaissance du corps féminin dans la chaleur d’une performance publique et bienveillante.
Public Cervix Announcement, qui a attiré plus de 25 000 spectateur·rice·s, n’est plus programmée depuis des années, mais le Web a pris le relais et il est désormais possible d’admirer le col de l’utérus d’Annie Sprinkle en ligne. Cette dernière invite d’ailleurs chaque personne dotée d’un utérus à aller regarder au fond de son vagin, et à l’exhiber à ses ami·e·s : “C’est une chose tellement amusante à faire, c’est un super truc à faire en soirée.”
Le dernier ouvrage d’Annie Sprinkle et Beth Stephens, Assuming the Ecosexual Position – The Earth as Lover, publié aux éditions University of Minnesota Press en 2021, est disponible ici.
Pauline Allione, Konbini, 21 juin 2022.
Lisez l’original ici.