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26 septembre 2022

Joyce Echaquan: une formation sur les réalités autochtones dénoncée

« Colonialiste » « nuisible » « datée »… Des voix s’élèvent contre la formation obligatoire sur les réalités autochtones, mise en place par le gouvernement de François Legault en réaction à la mort de l’Atikamekw Joyce Echaquan, le 28 septembre 2020, à l’hôpital de Joliette.

Le gouvernement du Québec a voulu sensibiliser le personnel du réseau de la santé avec cette formation offerte en ligne depuis le 1er juin 2021. L’objectif est d’assurer la sécurisation culturelle, soit des soins prodigués dans le respect de la culture du patient.

Radio-Canada a appris que deux lettres ont été envoyées au conseil d’administration du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) pour faire part d’un malaise concernant cette formation, et proposent de la remplacer par un programme plus complet et se rapportant plus spécifiquement au cas de Mme Echaquan. La mère de famille de 37 ans a été la cible d’insultes racistes par le personnel soignant de l’hôpital dans Lanaudière avant d’y trouver la mort.

La formation, que Radio-Canada a pu consulter après en avoir fait la demande au ministère de la Santé et des Services sociaux, a été élaborée avant la mort de Mme Echaquan. Elle compte cinq modules, dont trois (introduction, histoire et peuplement, pratique à adopter) sont obligatoires. On y enseigne notamment certaines notions juridiques et historiques de base, ou encore comment saluer et remercier dans les langues autochtones.

Pas de mention de Joyce Echaquan

Mais la formation ne va pas assez loin, dénonce la Dre Kaberi Dasgupta, directrice du Centre de recherche évaluative en santé à l’Institut de recherche du CUSM et professeure agrégée à la Faculté de médecine de l’Université McGill.

Il n’y a ni discussion ni réflexion sur la mort de Joyce Echaquan. Il n’y a pas de description de son épouvantable traitement ou de l’humiliation par les infirmières qui étaient censées l’aider, écrit-elle dans sa lettre.

Aucune mention non plus, ajoute-t-elle, du Principe de Joyce, qui vise à garantir à tous les Autochtones un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé. L’adoption de ce principe est réclamée par la famille de Joyce Echaquan et par la nation atikamekw, mais le gouvernement de la Coalition avenir Québec a affirmé qu’il ne comptait pas l’adopter ni l’inscrire dans la loi, puisque cela implique de reconnaître le racisme systémique, ce qu’il refuse de faire.

Rien non plus, en guise de contexte, écrit-elle, sur la disparition des enfants autochtones dans les hôpitaux du Québec ni sur la stérilisation forcée des femmes autochtones.

La lettre, que Radio-Canada a pu consulter, a été acheminée le 8 septembre au Comité d’action sur l’inclusion, la diversité et l’équité (C-AIDE), formé par le conseil d’administration du CUSM.

Ces omissions donnent l’impression que, oui, on a des problèmes, mais ces problèmes restent vagues. Il y a des problèmes beaucoup plus profonds dont on doit discuter pour changer la façon dont on traite nos concitoyens, affirme en entrevue à Radio-Canada la Dre Dasgupta.

La médecin de famille crie Darlene Kitty, une sommité en santé autochtone, a également écrit à C-AIDE à la mi-septembre, dans une lettre séparée. Elle dénonce l’absence de référence aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, au rapport de la commission Viens, aux appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. La formation effleure à peine l’histoire des pensionnats et les traumatismes intergénérationnels, de même que la notion même de sécurisation culturelle, ajoute-t-elle.

La médecin, qui travaille à l’Hôpital de Chisasibi à la Baie-James, déplore également l’absence de véritables consultations auprès des communautés cries, dont l’opinion aurait été sollicitée mais finalement pas prise en compte, de même que le nombre restreint de personnes autochtones impliquées dans les différents modules.

Cette formation obligatoire pourrait nuire aux relations avec les communautés autochtones en raison du manque d’informations élaborées par des personnes autochtones, dit la docteure crie en entrevue à Radio-Canada.

Le pédiatre urgentiste et professeur adjoint à la Faculté de médecine de l’Université McGill, Samir Shaheen-Hussain, est du même avis. La formation est dotée d’une approche colonialiste, certains volets frôlant la propagande, dit-il.

Sans analyse portant sur le colonialisme médical ou de discussion sur le racisme systémique anti-Autochtone dans les soins de santé, et sans mention de la sécurisation culturelle ou du Principe de Joyce, comment peut-on alors comprendre les réalités autochtones au Québec en 2022?, demande l’auteur du livre Plus aucun enfant autochtone arraché : pour en finir avec le colonialisme médical canadien.

Il s’agit essentiellement d’une vidéo qui aurait peut-être été avant-gardiste dans les années 1980 ou 1990, mais qui fait dérailler d’importants efforts menés par les Autochtones ces dernières années dans le domaine de la santé, ajoute-t-il.

En date du 21 septembre 2022, 184 844 employés du réseau de la santé et des services sociaux (58 %) ont suivi la formation.

Lors d’un débat électoral organisé par l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) la semaine dernière, le ministre sortant des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, a vanté les progrès que son parti a réalisés grâce à la formation. Nous n’avons pas attendu, nous ne sommes pas restés assis sur nos mains. Nous avons apporté plusieurs modifications sur le terrain au guide de sécurité culturelle qui a été rédigé avec les Premières Nations, a-t-il déclaré.

Dans une note écrite à Radio-Canada et à CBC, le ministère de la Santé et des Services sociaux n’a pas commenté spécifiquement les critiques à l’égard de la formation obligatoire, mais estime que le travail des conceptrices de la formation a été soutenu par plusieurs organisations et instances autochtones.

Le CUSM affirme pour sa part que ces deux lettres feront l’objet d’une discussion à l’interne et que le ministère en sera informé.

Un contexte qui a changé

Le chef de Manawan, Sipi Flamand, estime quant à lui qu’une mise à jour de la formation est nécessaire, pour y inclure la mort tragique de Joyce Echaquan de même que le Principe de Joyce. Il a lui-même été interviewé dans le cadre de la préparation de la formation, en 2019, avant d’être nommé chef. Son entrevue se retrouve dans un des modules qui ne sont pas obligatoires.

Le vice-chef de la communauté atikamekw de Manawan, Sipi Flamand.
Le chef de la communauté atikamekw de Manawan, Sipi Flamand Photo : Radio-Canada / Jean-François Villeneuve

En 2019, c’était un autre contexte. Depuis le 28 septembre 2020, c’est une tout autre histoire. Je me souviens que je parlais de gouvernance, de politique autochtone dans cette entrevue, précise le chef atikamekw.

Initialement commanditée par le Secrétariat aux affaires autochtones et le ministère de la Justice du Québec, la formation a été élaborée en 2018 par la sociologue abénaquise Nicole O’Bomsawin et la professeure au Département de géographie de l’UQAM Laurie Guimond. Mme O’Bomsawin affirme ne pas avoir eu accès à la version finale de la formation.

C’est sûr qu’on ne répond pas aux questions plus pointues arrivées après Joyce. Notre travail s’est arrêté il y a deux ans et demi, disait Nicole O’Bomsawin à Radio-Canada le printemps dernier.

Laurence Niosi, Radio-Canada, 26 septembre 2022.

Photo: Joyce Echaquan, morte à l’hôpital de Joliette le 28 septembre 2020. Image tirée de Facebook.

Lisez l’original ici.

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