Mais que veulent vraiment les Black Blocs? Entretien avec Francis Dupuis-Déri
La tactique du black bloc a donné aux manifestations contre la « loi travail » des allures insurrectionnelles au printemps dernier. Mais d’où vient-elle ? Quels sont ses objectifs et ses effets sur la mobilisation ? Le professeur de science politique Francis Dupuis-Déri, auteur du livre Les black blocs et de La peur du peuple, décrypte ce phénomène. Entretien.
Cagoulés, vêtus de noir et prêts à en découdre avec la police, les black blocs ont donné aux manifestations du printemps dernier en France contre la « loi travail » des allures insurrectionnelles. Dans un livre érudit réédité dans une version augmentée (Les black blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, Lux), le professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal Francis Dupuis-Déri remonte aux sources de cette tactique. A contre-courant des stéréotypes sur la figure du « casseur » apolitique et irrationnel, il éclaire la logique et la dynamique de ce phénomène.
Dans un livre qui vient de paraître et qui prolonge cette réflexion, La peur du peuple (Lux), il interroge le mépris que suscitent les mouvements qui se revendiquent de la démocratie directe – des Indignés à Nuit debout, en passant par Occupy. La multiplication de ces expériences autogestionnaires témoigne selon lui d’une mémoire vive de la capacité du peuple à se gouverner seul. Une mémoire que certains auraient bien aimé ne plus jamais voir resurgir. Entretien.
En 2003 lors de la première édition de votre livre Les black blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, vous étiez pessimiste sur la persistance de cette tactique. Pourquoi est-elle de nouveau investie par les acteurs des mouvements sociaux ?
Francis Dupuis-Déri – Mon pessimisme était lié entre autre à la répression. Le black bloc est une tactique très typée esthétiquement, et qui désigne facilement ses acteurs comme des cibles de la répression, dans le cas où la police décide de jouer cette carte-là. D’autre part, je travaille beaucoup sur la base de textes écrits par les militantes et militants eux-mêmes, et c’était le discours qu’ils avaient en 2003. Mais la réalité a infirmé mon hypothèse. La crise financière de 2008 et les ondes de choc qu’elle a provoquées ont produit des occasions pour les activistes anticapitalistes de se ressaisir de cette tactique.
Ce fut le cas dans le mouvement altermondialiste, lors du printemps arabe, au Brésil en 2013 lors de la campagne contre la vie chère, à Toronto au Québec en 2010 lors du G20, ou encore au printemps dernier à Paris lors du mouvement contre la « loi Travail ». Le 14 juin, j’étais à Paris, et je me suis retrouvé dans le cortège de tête : j’ai été vraiment impressionné. A ma connaissance en France c’était exceptionnel. Les activistes autonomes, anarchistes et anticapitalistes français connaissaient déjà cette tactique, mais il y avait un effet d’échelle assez impressionnant. […]
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Mathieu Déjean, Les Inrockuptibles, 1er novembre 2016
Photo : Le 9 avril 2016 à Paris, des manifestants affrontent la police anti-émeute (Joël Saget / AFP)