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9 novembre 2019

Une poétique de l’hiver

Peut-on aimer l’hiver une fois l’éphémère allégresse de la première neige passée ? Avec Hiver. Cinq fenêtres sur une saison, Adam Gopnik, correspondant du New Yorker, offre une douce réponse. Né à Philadelphie, il a grandi à Montréal : « Vers l’âge de 10 ans, j’ai découvert le vrai hiver québécois. Mon plus beau souvenir d’enfance demeure sans doute ma première tempête de neige montréalaise. Ce livre a pour origine ce magnifique moment », raconte-t-il au Devoir, qui l’a joint par téléphone lors de son bref passage dans la métropole.

Pourquoi écrire sur cette saison longtemps considérée comme une forme de disgrâce de la nature ? « Je cherchais un sujet canadien et québécois en lien avec l’histoire culturelle et la poésie. Je voulais donner le goût du pays où j’ai grandi. En attendant l’autobus à New York, où j’habite depuis une quarantaine d’années, j’ai compris que l’hiver constituait ce vaste sujet, qui avait sa vie propre et que je portais en moi depuis ma jeunesse. »

L’essai est initialement paru en anglais en 2011. Lori Saint-Martin et Paul Gagné en ont assuré la brillante traduction française. « Je veux saluer leur travail extraordinaire. Leurs nombreux allers-retours avec moi ont permis de demeurer fidèle au texte original », confie le journaliste, qui s’estime choyé par autant de rigueur et de sensibilité.

Le temps écoulé entre la publication du livre et sa traduction a-t-il modifié son regard sur son propre ouvrage ? « Mon affection et mon rapport à l’hiver restent les mêmes, répond Gopnik. Cette saison nous fera toujours cadeau du silence. Par contre, j’accorderais plus d’importance aux impacts des changements climatiques sur l’hiver si j’écrivais ce livre aujourd’hui. »

Historien de l’art formé à l’Université McGill, le journaliste a exploré la peinture, la littérature, la musique, l’histoire et mené quelques entrevues. Son but : faire de l’hiver une « nouvelle province de l’imaginaire ». Avec humour, il dresse la liste des goûts et des dégoûts que lui inspire la saison du givre et de la poudrerie.

Déclinaisons d’une saison

L’image de la fenêtre, présente dès le sous-titre du livre, s’est vite imposée à Gopnik. « La fenêtre constitue la membrane perméable entre l’hiver et nos corps, explique-t-il. Tout comme le chauffage, elle procure ce sentiment de sécurité sans lequel on ne peut jouir de la saison froide. La fenêtre par laquelle je décris l’hiver comme espace récréatif m’a le plus inspiré, avoue l’essayiste avec enthousiasme. J’y propose un hymne au hockey sur glace. Ce sport splendide s’inscrit dans notre histoire, comme l’a montré Michel Vigneault avec ses recherches sur l’évolution du hockey à Montréal de 1875 à 1917 »

Outre les sports, Gopnik explore avec acuité les représentations de l’hiver dans les arts. De Goethe à Andersen, de Caspar David Friedrich aux impressionnistes, de Vivaldi à Mendelssohn et Debussy, les artistes ont façonné de nouvelles cartographies affectives de l’hiver, soutient-il.

Vers l’âge de 10 ans, j’ai découvert le vrai hiver québécois. Mon plus beau souvenir d’enfance demeure sans doute ma première tempête de neige montréalaise. Ce livre a pour origine ce magnifique moment.

Adam Gopnik

« Depuis le XIXe siècle surtout, cette saison est à l’origine d’une sorte de révolution des sensibilités. Avant cette époque, l’hiver rimait avec inquiétude, menace et souffrance » L’invention du chauffage en Angleterre vers 1830 a permis le développement d’une conception inédite de l’hiver, que les artistes ont vite exprimée.

« Dans le mouvement romantique et moderne, explique l’historien de l’art, l’hiver est devenu synonyme de l’absence, du mystère attrayant et magnétique et d’un nouveau plaisir d’observation empreint d’une douceur enveloppante. » Au Canada et au Québec, ces visions se sont cristallisées. « Des peintres comme Lawren Harris et Cornelius Krieghoff en firent une expérience créative profonde, intense, sublime et effrayante unique au monde. »

Pour Gopnik, l’hiver représente aussi « un espace de projection des fiertés nationales et de l’impérialisme ». L’auteur propose une fenêtre sur la conquête souvent controversée des pôles. Des expéditions tragiques comme celle de John Franklin en forgèrent l’histoire. « De telles équipées passionnent encore les gens, car elles montrent les limites de l’endurance humaine. Elles ont constitué le dernier moment de l’héroïsme individuel. »

En passant par une autre fenêtre, on découvre que l’hiver incarne également un lieu de réparation. « La fête de Noël incarne le renversement et le renouveau », estime le journaliste. Le père Noël bienveillant, symbole du matérialisme, occupe une place fondamentale dans l’évolution du concept de cette célébration : « Noël fut d’abord la fête du cœur, puis, à partir de 1870, celle des grands magasins avec ses vitrines comme celle d’Ogilvy à Montréal. »

L’hiver, c’est tout cela. Et plus encore. En l’observant par les fenêtres, tel que le propose Adam Gopnik dans son brillant essai, on mesure combien cette saison possède une richesse géographique, historique et culturelle, tout comme elle incarne un espace poétique de remémoration.

Chez nous, comme ailleurs, l’hiver « est la page blanche sur laquelle nous écrivons nos cœurs ». 

Sébastien Vincent, Le Devoir, 9 novembre 2019.

Photo: Ryan Remiorz La Presse canadienne. Un paysage hivernal sur le mont Royal, à Montréal

Lisez l’original ici.

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