« Œuvres », de George Orwell, multiples traducteurs de l’anglais, édité sous la direction de Philippe Jaworski, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1664 p., 66 € jusqu’au 31 mars 2021.
« Orwell, à sa guise. La vie et l’œuvre d’un esprit libre » (The Crystal Spirit. A Study of George Orwell), de George Woodcock, traduit de l’anglais (Canada) par Nicolas Calvé, Lux, 424 p., 20 €, numérique 13 €.
« Orwell, anarchiste tory, suivi de : A propos de “1984”, et d’Orwell, la gauche et la double pensée », de Jean-Claude Michéa, Climats, 336 p., 21 €, numérique 15 €.
En octobre 1946, le magazine new-yorkais Politics commande un texte à George Woodcock (1912-1995), intellectuel anarchiste haut en couleur, à la fois poète, historien, critique littéraire… L’objet de cette commande ? Un article sur George Orwell (1903-1950), qui commence à jouir d’une certaine notoriété : bien que 1984 ne soit pas encore publié – il paraîtra en 1949 –, La Ferme des animaux (1945) connaît un succès international. Or, cet article, l’un des premiers consacrés à l’œuvre d’Orwell en général, n’est pas tendre : il pointe notamment plusieurs « incohérences » dans sa pensée. Peu après la parution du papier, Woodcock tombe par hasard sur l’écrivain socialiste, vêtu de son éternelle veste en tweed et de son pantalon bouffant, qui vient d’acheter le magazine dans une librairie londonienne. Le critique littéraire, qui s’est naguère brouillé avec plus d’un auteur pour des comptes rendus moins rudes, ne sait pas trop où se mettre…
Dans la soirée, il reçoit pourtant un coup de fil d’Orwell, qui le félicite pour son article. Certes, ce dernier lui reproche un paragraphe qu’il n’a guère apprécié, mais « il exprime sa réprimande avec une douceur étonnante », se souvient George Woodcock dans un bel essai biographique intitulé Orwell, à sa guise. Publié une première fois au Canada en 1966, désormais traduit en français, ce témoignage mêle observations personnelles et considérations théoriques pour souligner une qualité qui rend Orwell si attachant aujourd’hui : la « douceur étonnante » avec laquelle il ancre la probité politique dans une sincérité et une franchise des plus ordinaires.
C’est pendant la guerre, en 1942, que Woodcock fait la connaissance d’Orwell, qui travaille alors à la BBC. Bientôt amis, ils partagent quelques repas frugaux, à base de morue bouillie, agrémentée de navets amers, autour desquels s’échangent des arguments enflammés… « Il pouvait être un adversaire très chevaleresque, mû par un sens du fair-play qui l’amenait parfois à retirer publiquement ses propos s’il en venait à considérer ceux-ci comme injustifiés », note Woodcock dans ce témoignage libre, assez exaltant à lire maintenant, alors que tant de gens peinent à reconnaître leurs erreurs, leurs errements, leurs défaites. L’auteur y dépeint un Orwell qui pouvait être colérique, voire brutal, mais qui se battait avec fougue pour que ses ennemis politiques puissent s’exprimer, au moment où lui-même, déjà malade de la tuberculose, rédigeait son chef-d’œuvre antitotalitaire, 1984.
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Jean Birnbaum, Le Monde, 11 novembre 2020.