Un livre testament, judicieusement réédité
Pierre Perrault (1927-1999), remarquable cinéaste et poète québécois s’est pris très jeune d’affection pour les habitants de l’Isle-aux-Coudres, au début de l’estuaire du Saint-Laurent. Il a, depuis les années 1950, recueilli leurs souvenirs et leur «parlure», les filmant et les enregistrant, produisant documentaires et livres. Son film Pour la suite du monde (1962, coréalisé avec Michel Brault), qui leur est consacré, est resté célèbre. Ce dernier texte, un livre testament, judicieusement réédité, est le point d’orgue de ce compagnonnage. Avec «ce modeste monument de mémoire», il évoque les «sauvages» (nom attribué aux Indiens) qui ont appris aux anciens à capturer les «marsouins», la puissance du fleuve, celle des glaces qui s’entrechoquent, et la neige qui ensevelit, qu’il fallait affronter avec «souleur» (frayeur subite). À travers les récits d’Alexis, de Marie, de Léopold, on assiste à la pêche d’autrefois, aux déguisements de la mi-carême, aux naissances esseulées car les hommes sont au loin. Le langage des îliens est restitué sous forme de poèmes. Et leurs «voitures d’eau» (caboteurs) disparaissent lentement avec les savoirs du temps passé.
Hélène Yvonne Meynaud, Le Monde diplomatique, no 841, avril 2024.