
Un authentique écrivain libère-terre
Eduardo Galeano, écrivain, journaliste uruguayen, né en 1940 et décédé en 2015. Suite au coup d’état militaire, il dut quitter son pays en 1973. Après avoir été emprisonné il s’exila en Argentine, où de 1973 à 1976 il dirigea une revue avant que le coup d’état militaire ne vienne de nouveau le condamner à l’exil. Menacé de mort par des «escadrons de la mort», il rejoint Barcelone, et retrouve son pays, l’Uruguay, en 1985.
Les éditions Lux nous offre de parcourir un très poétique ouvrage d’histoire, une histoire presque universelle. Historiens et historiennes féru·es de références, passez votre chemin, à moins que vous ne soyez sensibles à ce décentrage total qu’opéra Eduardo Galeano. Son livre de 448 pages parcourt l’histoire des humanités, de ces absents et absentes qu’on devine en filigrane. Chaque temps de cette histoire s’avère d’une écriture brève, fluide et étonnamment puissante. L’auteur nous convie à un étrange voyage depuis les déités jusqu’aux plus noires des destinées dictatoriales. Le tout dans un langage empreint d’humanisme, de tendresse et d’altruisme. Il plonge dans les profondeurs des humanités, raconte la partition binaire des mondes en bien et mal, la mise sous séquestre de la nature, les dieux de la guerre en lieux et places des déesses de la fécondité et… Par un jeu de mise en miroir, il convoque les damné·es, les vaincu·es et les dépossédé·es. Ceux que Eduardo Galeano n’a jamais oublié et qui font partie de l’histoire. Elles et ils sont l’histoire, la multitude des histoires de ceux et celles qui peuplèrent et transformèrent la terre en quelque chose d’habitable pour tous.
Ces miroirs reflètent les humanités. On ne peut que penser à Élisée Reclus ou encore à Piotr Kropotkine. Eduardo Galeano, par l’intermédiaire des éditions Lux, nous a livré un conte, un merveilleux conte philosophique aux fulgurances poétiques, à ce regard heureusement décalé qui invite à rêver, à penser un autre monde, un autre devenir humain où le tien et le mien deviendraient le nous. Si vous espérez découvrir une somme historique, avec références à l’appui, vous perdez votre temps. Cela aurait alourdi le propos et surtout l’aurait détourné de cette invitation à voyager dans un imaginaire subversif ô combien salutaire en des temps de grisailles. Une histoire presque… universelle, à laquelle s’est soustrait l’auteur pour porter un regard acide et acéré sur les humanités. Eduardo Galeano était un authentique écrivain libère-terre.
Dominique Sureau (UCL Angers), Alternative libertaire, no 359, avril 2025.