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Détail de la couverture du livre «L'hydre mondiale».
24 février 2016

Tuer l’hydre bancaire avant qu’elle nous dévore

Si l’on souhaite mater le monstre capitaliste, il faut tout d’abord démembrer l’oligopole bancaire. C’est ce que propose l’économiste François Morin dans L’hydre mondiale, le petit essai qu’il vient de publier chez Lux éditeur. Le professeur émérite de l’université de Toulouse nous invite à nous inquiéter sérieusement de la collusion entre les 28 plus grandes banques au monde, qui forment un oligopole toxique pour l’intérêt public.

Les grandes banques sont aujourd’hui plus puissantes et plus interconnectées que jamais. La crise de 2008 n’y a rien changé: elles forment toujours un véritable oligopole, et il est pratiquement impossible d’endiguer les risques systémiques1 posés par leurs pratiques. En fait, François Morin souligne que cet oligopole est si puissant que, face aux États, le rapport de force s’est inversé. C’est ce qui explique en partie qu’en 2008, les États (et les contribuables) ont dû payer pour les spéculations arrogantes de l’hydre bancaire. Or, on ne semble pas en avoir tiré les leçons qui s’imposent. En mai 2014, nous rappelle l’auteur, Janet Yellen, directrice de la Réserve fédérale des États-Unis (FED), déclarait que les autorités responsables d’encadrer l’activité des grandes banques ne devraient pas tâcher d’» éviter les crises », mais simplement assurer qu’à l’avenir, les contribuables n’en fassent pas les frais. Mais si une nouvelle crise secouait le système financier international, l’oligopole bancaire serait-il cette fois forcé d’assumer la responsabilité de ses frasques ? On peut raisonnablement en douter.

Même Christine Lagarde l’admet volontiers: le comportement des acteurs du système financier n’a pas fondamentalement changé depuis la crise de 2008. Le profit à court terme l’emporte toujours sur la prudence à long terme, et rien n’indique que les grandes banques seraient désormais prêtes à assumer les coûts de leurs ratés. Ainsi, non seulement on ne peut garantir qu’il n’y aura pas de nouveau cataclysme financier, mais on ne peut pas non plus promettre que les citoyennes et les citoyens seront épargnés, lors de la prochaine crise. Selon François Morin, il n’y a pas trente-six solutions: si l’on souhaite éviter des crises de l’ampleur de celle de 2008 et empêcher que les citoyens et les États règlent la note, il faut démanteler l’oligopole bancaire, et les autorités publiques doivent reprendre le contrôle de la question monétaire.

La naissance de « l’hydre bancaire »

La naissance de l’oligopole bancaire coïncide avec la globalisation des marchés monétaires et financiers, vers la moitié de la décennie 1990. La libéralisation des mouvements de capitaux à l’échelle internationale a permis aux banques d’élargir leur taille et leurs activités, accroissant ainsi considérablement leur infiuence. Puis, elles ont conclu des ententes frauduleuses qui ont été découvertes bien après (vers 2012), ce qui leur a permis d’engranger des profits faramineux leur permettant de créer des produits dérivés (toxiques) offerts aux entreprises et aux investisseurs2.

La montée en puissance de l’oligopole a également permis la prolifération des pratiques spéculatives et douteuses concertées, comme les manipulations des taux de change et le financement des investissements par la manipulation des taux d’intérêt ou la manipulation des contrats de produits dérivés. « Entre amis », ces quelques grandes banques spéculent aveuglément, tout en assurant leurs profits.

Or, les plus grandes banques bénéficient désormais d’une capacité telle à mobiliser des sommes faramineuses pour les affecter où bon leur semble qu’un déséquilibre s’est créé entre elles et les États, dont l’action est souvent limitée par le fardeau de leur dette publique.

Cette asymétrie entre les pouvoirs publics et privés, nous dit François Morin, est de plus en plus préoccupante, d’autant plus que les banques ne sont pas n’importe quelle entreprise privée. Elles jouissent de privilèges singuliers qui démultiplient leur puissance. En effet, aucun autre secteur d’activité n’a une puissance d’action aussi vaste et décisive pour l’ensemble de l’économie. De plus, les banques possèdent un pouvoir unique, celui de créer de la monnaie. Or, les implications sociales et politiques de ce phénomène « d’hypertrophie » du pouvoir bancaire sont nombreuses et bien réelles. Que faire ?

La souveraineté monétaire pour asphyxier le monstre

François Morin conclut qu’il faut tout d’abord ramener la question monétaire au coeur des préoccupations politiques. L’oligopole bancaire s’est arrogé un pouvoir monstrueux sur la fixation des deux prix les plus fondamentaux de la finance globalisée, soit les taux de change et les taux d’intérêt, et il faut leur confisquer ce pouvoir pour le re-confier aux autorités publiques. L’auteur souligne en effet que les États ont aujourd’hui abandonné leur souveraineté en matière de monnaie. Or, pour lutter contre la voracité et les risques posés par la finance globalisée, il faut à tout prix favoriser le retour à des souverainetés monétaires. François Morin en appelle même à l’avènement d’un « nouveau Bretton Woods », qui militerait cette fois en faveur de la création d’une monnaie internationale commune (et non unique), à laquelle les monnaies nationales pourraient se référer dans des rapports stables. Les taux de change échapperaient ainsi au jeu du marché et dépendraient de décisions politiques issues d’accords de la communauté internationale.

Morin souligne également que c’est bien le démantèlement de l’oligopole bancaire mondial qu’il faut viser, et non simplement la « limitation » de son pouvoir par la réintroduction d’une réelle concurrence entre ses membres. Il faut supprimer les liens qui existent entre les grandes banques, et exiger une séparation patrimoniale stricte des banques de dépôts et d’investissement. Il faut en somme « faire le pari de l’intelligence politique » pour venir à bout de l’hydre bancaire, de façon à redonner aux États leur souveraineté monétaire et éviter que les citoyens et les citoyennes fassent à nouveau les frais de la collusion et de l’appétit insatiable des grandes banques. » Le temps de l’urgence démocratique et de la lucidité politique devient impératif ! » lançait récemment François Morin, dans un entretien avec Libération.

Dans un essai qu’il a consacré aux périls de la finance globalisée, publié chez Lux en 20133, l’auteur concluait qu’il faut « saigner la finance avant qu’elle nous saigne ». De la même manière, on pourrait dire qu’il faut maintenant, comme Héraclès, tuer l’hydre bancaire avant qu’elle nous dévore.

 

1. Un risque est dit «systémique» s’il est susceptible d’entrainer l’écroulement du système économique et financier mondial. Ainsi, une «banque systémique» – les 28 plus grandes banques en étant toutes – est une banque dont la taille est telle que sa chute pourrait entrainer une crise mondiale. On les dit souvent «too big to fail».

2. Les produits dérivés, souligne Morin, sont d’ailleurs le premier facteur de l’interconnexion des banques et le principal facteur de fragilisation du système, en cas de choc.


Aurélie Lanctôt, Nouveaux Cahiers du socialisme, no 15, hiver 2016.

Lisez l’original ici.D.

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