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Détail de la couverture du livre «Le temps des madras».
22 avril 2025

Sous le volcan

Un récit d’enfance plein de vie, au pied de la montage Pelée, dans la Martinique des années 1920.

 

Le temps file. Déjà quatre ans que nous chroniquions ici même les Lettres à une Noire, de Françoise Ega (1920-1976), ressuscitées de L’Harmattan par les éditions Lux en 2021. À la faveur des études féministes et décoloniales, le livre, qui dénonçait la condition faite en métropole aux jeunes bonniches martiniquaises, avait eu bonne presse et suscité les applaudissements tardifs d’une petite bourgeoisie que cette infatigable militante du quotidien ne fréquenta guère de son vivant, préférant visiblement les curés. Fortes de ce succès et d’une reparution concomitante en poche (Folio), les mêmes éditions récidivent et exhument un texte plus ancien, paru en 1966 aux Éditions Maritimes et d’Outre-mer. Sous-titré «récits de la Martinique», Le Temps des madras est un récit d’enfance, nimbé doublement, donc, de cette lumière propre aux paradis perdus, la jeune Françoise Marcelle Modock ayant dû s’exiler très tôt pour gagner son pain. Loin des nostalgies lénifiantes, cependant, elle ne se contente pas de redonner de belles couleurs à l’entre-deux-guerres: une enfance au Morne Rouge, au pied de la montagne Pelée, n’est à coup sûr pas exempte de coups du sort et de secousses, au rang desquels la mort prématurée du père fait figure d’introduction. La vie, dès lors, sera l’affaire des femmes parmi lesquelles émergent de belles et fortes figures comme cette tante Acé toujours pleine de ressources et d’allant ou bien la «voyante» Élisa, bonne sorcière érigée en rempart contre tout ce que le pays compte de zombis et de quimboiseurs, ces inquiétants jeteurs de sort à l’efficacité certaine. Car la magie est encore partout présente dans ce petit monde presque exclusivement noir, dont elle constitue – quoi qu’en ait le brave curé – l’un des plus solides piliers face à l’ordre colonial. Un ordre qui ne dit pas son nom trop fort et reste par ailleurs assez bien toléré par une autrice qui ne se place jamais en position victimaire et oppose volontiers au «béké», unanimement détesté et tenu à distance, le Blanc venu de «l’autre pays», en héraut d’une République émancipatrice incarnée à hauteur d’enfant par l’école et le clocher.

Hors le plaisir réel que l’on prend à ce récit plein de naturel et de vie (secondé par un lexique fort bienvenu), c’est peut-être cette ambiguïté fondamentale qui, même teintée d’ironie légère, fait de Françoise Ega la figure foncièrement irrécupérable qu’elle fut toute sa vie. Et, quelles que soient les bonnes intentions de ses rééditeurs, préserve son œuvre, à la fois modeste et sûre d’elle-même, d’un air du temps toujours soupçonnable de vouloir lui en faire dire plus qu’elle ne voudrait.


Yann Fastier, Le Matricule des anges, no 262, avril 2025.

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