
Sortir de l’hibernation
J’aurais aimé m’amuser en abordant des sujets plus légers, ce qui aurait représenté tout un défi pour moi. La légèreté, je l’ai en privé avec mes proches, et elle n’a aucun intérêt à se retrouver dans une chronique et encore moins sur les réseaux sociaux. L’actualité a fini par me convaincre de remettre cet exercice de style à plus tard.
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Sur ma table de chevet un livre : «Quand nos désirs font désordre, Une histoire du mouvement homosexuel en France, 1974-1986». L’auteur, Mathias Quéré* a passé plusieurs années à éplucher la presse, les documents, les premiers textes du mouvement homosexuel, a rencontré aussi les acteurs et actrices de cette époque. Petite nostalgie pour moi puisque ces années ont été fondatrices dans ma façon de me percevoir comme gai – à l’époque je revendiquais le terme pédé – et que j’y ai très humblement participé. J’écrivais pour le mensuel «Homophonies», organe de presse du CUARH (Comité d’urgence anti-répression homosexuelle) et des nombreux GLH (Groupe de libération homosexuel) que l’on retrouvait dans beaucoup de villes de France. J’étais un petit cul et j’y ai traîné mes culottes pendant plusieurs années. Culottes que je baissais souvent, pas par peur d’une quelconque répression, mais par plaisir, car le sexe et notre relation à la sexualité était tout aussi important pour nous que de distribuer des tracts, organiser des universités d’été ou encore de manifester contre des violences policières. Tout était à faire, et même si nous voulions une reconnaissance dans l’espace publique, l’abrogation de toutes les lois discriminatoires, il n’était pas question d’être assimilé et de se fondre dans le paysage hétéro-patriarcal et hétéronormatif, pas question de plier les genoux pour une quelconque acceptation nous obligeant à rentrer dans le rang.
On ne peut aujourd’hui, compte tenu de cette ambiance qui règne en ce moment, s’asseoir sur nos lauriers : nos acquis sont fragiles, susceptibles au détour d’un changement de gouvernement, de la folie d’un dirigeant, de se retrouver aux poubelles. On ne peut se voiler la face, en minimisant ce qui se passe au Québec et ailleurs dans le monde. Un Comité des sages, ce n’est pas grave, un parti qui s’abstient de nous soutenir, ce n’est pas trop grave, le rapport d’étude du GRIS-Montréal, on n’en parle pas assez. Pourtant, comme le démontre la recherche de Mathias Quéré sur le mouvement en France, ce n’est pas en se rassurant à peu de frais, dans un petit confort douillet, que l’on pourra maintenir nos acquis voire en gagner d’autres.
Denis-Daniel Boullé, Fugues, 27 février 2025.
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