Le monde à l’envers, c’est celui qui sortait des lanternes magiques du XVIIIe siècle et qu’Alice visita en traversant un miroir. Selon Eduardo Galeano (1940-2015), il lui suffirait aujourd’hui de se pencher à la fenêtre : tuer, voler, polluer sont devenus des vertus, à condition que ce soit à grande échelle. « Le monde à l’envers récompense à l’envers : il méprise l’honnêteté, punit le travail, encourage l’absence de scrupules et alimente le cannibalisme. » Dénonçant ses nombreux complices, le journaliste uruguayen réalise une analyse lucide et rigoureuse des mécanismes économiques mondiaux, comme l’« expression la plus efficace du crime organisé ». La « culture de la consommation » invite tout le monde au banquet dans un élan « égalisateur », mais le refuse à la plupart. Cependant, « la pauvreté est la juste punition que mérite l’inefficacité », selon ce code moral inversé, de même que l’impunité est la règle pour les tortionnaires et les assassins à la solde du pouvoir. Avec un art de la dérision dévastateur, c’est un monde déjà devenu marchandise en 1998, date de la parution initiale de ce texte, qu’il dénonce et invite… à renverser !
1 juin 2024
Sens dessus dessous, l’école du monde à l’envers
Ernest Londin, Le Monde diplomatique, no 843, juin 2024.