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7 octobre 2023

S’en souvient-on, de Godin?

De bonnes biographies de personnalités québécoises, il n’y en a pas tant que ça, vous savez. Je parle de biographies qui s’appuient sur une solide recherche dans les archives, sur des entrevues avec tous les témoins encore vivants qu’on peut trouver, et qui ont une perspective historique plutôt qu’hagiographique, bref, le contraire de ces nombreux bouquins écrits à la hâte pour faire du fric ou la promotion d’une vedette.

 

Quand ça arrive, il faut le souligner, car il y a tout ce qu’on aime d’une bonne bio et même plus dans le Godin de Jonathan Livernois, qui vient de paraître chez Lux. Remercions la pandémie, qui lui a permis de travailler à temps plein sur son sujet – le député-poète du Parti québécois Gérald Godin (1938-1994) – tandis que de nombreux intervenants étaient disponibles pendant le confinement. Jonathan Livernois a pu parler à la famille de Godin, à ses amis et ses collègues, à des politiciens et à des journalistes de l’époque – paraît-il que Bernard Derome a été très ouvert sur la période de chasse aux indépendantistes à Radio-Canada où Gérald Godin a travaillé comme recherchiste.

Photo de Jonathan Livernois.
PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE
Jonathan Livernois

Ce que j’ai beaucoup aimé de Godin est que Jonathan Livernois ne perd jamais de vue le poète dans la prolifique carrière de l’homme, qui a aussi été journaliste, éditeur, professeur et politicien. Livernois, professeur d’histoire littéraire et intellectuelle à l’Université Laval, commente chacune des publications de Godin, les bonnes comme les moins bonnes, nous sert quelques potins littéraires – ses accrochages avec Michel van Schendel ou son amitié avec Ducharme et Miron, par exemple –, mais confirme surtout la constance de l’écriture dans sa vie, même au cœur de la tourmente politique, même lorsqu’il combattait un cancer du cerveau. Disons qu’il est extrêmement rare qu’on retrouve l’importance de la poésie dans la biographie d’un politicien. « Ma crainte avec ce livre était d’en faire un poète égaré en politique, et lui-même s’est servi de cette image-là », explique Jonathan Livernois.

«Je voulais vraiment consacrer une part importante à ce que Godin a pu faire en poésie, mais aussi comment sa poésie n’a pas été véritablement reconnue à l’époque. À certains égards, on pouvait comprendre pourquoi, ce n’était pas tout à fait la poésie de Miron ou celle de van Schendel, c’était un peu du Jean Narrache version 1966.»

– Jonathan Livernois

Gérald Godin obtiendra une reconnaissance dans les années 1980, quand il commencera à recevoir des prix, et cela n’est pas sans lien avec sa maladie qui change son rapport aux autres, pense Livernois. « Un ami l’appelle à la blague Saint-Gérald, car il devient une incarnation du Québec qui lutte, et ça passe aussi par sa relation avec Pauline Julien. Ils vont devenir cette espèce de “power couple” de l’histoire québécoise moderne, incarnant la montée vers l’indépendance. »

C’est en voyant le documentaire Québec… un peu… beaucoup… passionnément… de Dorothy Todd Henaut en 1989 que le jeune Jonathan Livernois a développé un intérêt pour le couple Julien-Godin. Il faut avoir une fascination durable pour se lancer dans une biographie sérieuse et, c’est étonnant, mais il s’agit de la première consacrée à Gérald Godin. « C’est un personnage unique au XXsiècle, croit le biographe. Au XIXsiècle, il y a eu beaucoup de politiciens qui étaient poètes en même temps, mais au XXsiècle, Gérald Godin est le seul. Honnêtement, je trouvais que c’était un cas extraordinaire à étudier. Il y a chez lui quelque chose qui me touche, notamment son rapport aux communautés culturelles. »

Godin a marqué l’histoire en battant le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, dans sa circonscription de Mercier quand le PQ a pris le pouvoir en 1976. Son aura, le fait qu’il a été arrêté pendant la crise d’Octobre (ce qu’il n’oubliera jamais) et sa proximité avec les gens en ont fait le backbencher le plus connu de la politique à ses débuts. « C’est vraiment un politicien, et je ne le dis pas négativement, souligne Livernois. Il est très habile dans sa façon de faire les choses. Il sait que la politique, c’est d’abord quelque chose de très local, qu’il faut parler aux gens et les écouter, surtout. »

Photo de Gérald Godin.
PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE
Gérald Godin, en 1979

C’est que ce natif de Trois-Rivières, qui a grandi dans une famille de bleus, a retenu la manière de faire de la politique de Maurice Duplessis, qui était son voisin. Tout poète qu’il était, Godin a toujours été pragmatique, terre à terre, proche du peuple, et il se méfiait des révolutionnaires aux idées désincarnées. Jonathan Livernois ose même parler, avec un brin d’humour, d’un « Duplessisme de gauche » chez Godin.

Par son ouverture aux communautés culturelles, Gérald Godin, qui a fini par être ministre de l’Immigration (car au départ, René Lévesque se méfiait trop de lui pour l’admettre au Conseil des ministres), est souvent vu par les progressistes comme la bonne conscience du PQ d’autrefois. Godin est mort peu de temps avant le deuxième référendum sur la souveraineté, mais en 1993, il avait vertement critiqué les propos de Jacques Parizeau, que pourtant il admirait, sur le « vote ethnique » du référendum de Charlottetown. « Jacques Parizeau a scrapé 15 ans d’efforts de rapprochement avec les communautés culturelles », avait-il dit au Devoir. On devine qu’il aurait très mal reçu le discours de Parizeau en 1995…

«Certains penseurs de droite, Mathieu Bock-Côté et d’autres, disent que Godin n’est pas le seul homme vertueux au PQ. Il y en a eu d’autres, certes, mais je pense que c’est le premier quand même à avoir une conscience bien réelle de l’intérêt des communautés culturelles.»

– Jonathan Livernois

Pour le biographe, Godin est un humaniste sincère, mais ce n’est pas un rêveur, il sait bien qu’il ne réussira pas à convaincre les Italiens de Montréal et qu’il a plus de chances du côté des Grecs, mais que peu voteront tout de suite pour l’indépendance. « Ça ne l’empêchait pas de continuer sa politique de main tendue, car c’est une conviction qu’il a depuis longtemps. Il croit que c’est la chose à faire. Quand on entend une déclaration abominable comme celle de Jean Boulet qui a dit que 80 % des immigrants ne s’intègrent pas alors qu’il était ministre de l’Immigration, et qu’on pense à Godin, ça fait mal de voir comment on a perdu ce rapport à l’autre. »

Ce qui est fascinant dans cette biographie remarquable, c’est l’extraordinaire voyage artistique, intellectuel et politique de Gérald Godin qui, comme beaucoup de gens de sa génération, a été happé par le tourbillon de l’histoire et n’a pas hésité à provoquer les évènements. Et on se dit : quelle époque, tout de même.

« J’ai été très souvent ému par ce parcours-là, confie Jonathan Livernois. Il a cette façon d’aller vers les autres, ce caractère sympathique et séducteur, il veut être aimé, ce qui pose des problèmes parfois en politique, car il lui arrive de vendre des politiques gouvernementales à ses chums avant qu’elles soient annoncées ! Mais Godin est ainsi, c’est difficile pour le biographe qui cherche des aspérités, car c’est quelqu’un de foncièrement authentique et bon. C’est une chance de parler d’un être comme ça. »


Chantal Guy, La Presse, 7 octobre 2023.

Photo: Gérald Godin en 1977. ROBERT MAILLOUX, ARCHIVES LA PRESSE

Lisez l’original ici.

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