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Détail de la couverture du livre «Au Québec, c'est comme ça qu'on vit» de Francine Pelletier.
21 décembre 2023

Se raconter une fois de plus

Dans cet essai, la journaliste Francine Pelletier propose une nouvelle analyse de la culture politique québécoise fortement inspirée des études critiques des dernières années sur le néoconservatisme et le nationalisme identitaire. Elle approfondit les thèses développées dans son documentaire Bataille pour l’âme du Québec (2022) et soutient l’argument que le nationalisme d’aujourd’hui n’est pas celui de «nos trente glorieuses», comme plusieurs le prétendent, mais bien quelque chose de plus insidieux, de fermé et de réactionnaire; une sorte de parodie des espoirs et des aspirations progressistes de la Révolution tranquille.

Les premiers chapitres, à saveur biographique, combinent diverses observations personnelles à des analyses souvent très sommaires sur les métamorphoses de la culture politique québécoise entre 1971 et 1980. Pelletier, une Franco-Ontarienne ayant vécu en Alberta, y parle de son choix de s’établir au Québec pour vivre en français et participer à l’optimisme d’une société québécoise qui s’ouvrait alors sur le monde. Selon elle, il y a un réel changement de paradigme à cette époque: le vieux nationalisme canadien-français, plutôt conservateur, fait place à une nouvelle mouture du nationalisme québécois, soit un «nationalisme civique progressiste» porté par des figures comme Gérald Godin ou Louise Harel dans le premier gouvernement du Parti québécois (PQ).

Par la suite, Pelletier déploie son argumentaire de manière beaucoup plus précise et soutenue. Le ton change; le biographique s’atténue pour laisser place à l’analyse et, surtout, à la prise de position. Elle passe au peigne fin différents épisodes récents de la politique québécoise: la «crise» des accommodements raisonnables, le virage identitaire du PQ, la Charte de la laïcité, la normalisation du conservatisme social et de la politique identitaire et la consécration de son principal acteur politique, la Coalition Avenir Québec (CAQ) dirigée par François Legault, que l’auteure critique d’ailleurs adroitement et abondamment.

Si Pelletier tisse quelquefois l’histoire du nationalisme à partir de phénomènes sociaux et culturels, son récit est avant tout structuré par l’histoire des élites politiques et de leur entourage. L’histoire s’écrit ici par «le haut» alors que les péripéties de personnages publics deviennent, par glissement, celles d’un peuple. Ce cliché, un raccourci récurrent dans la façon dont nous nous racontons au Québec, permet à l’auteure d’établir une équivalence entre les mutations du discours nationaliste de certains partis politiques et celles de toute une société. Pelletier déplore d’ailleurs à plusieurs reprises la métamorphose du PQ en principal véhicule – voire en architecte – du nationalisme identitaire québécois, un «long dérapage» à la suite du «rendez-vous avec l’histoire» manqué lors du référendum de 1995.

L’action soutenue de deux intellectuels phares du parti, Jacques Beauchemin et Jean-François Lisée, est ici au ban des accusés, et leurs thèses sont habilement démontées pour montrer comment le PQ «a perdu son âme» dans son hasardeuse et dramatique transformation en véhicule conservateur. L’auteure élabore également des critiques incisives des principales thèses de Djemila Benhabib et de Mathieu Bock-Côté, autres figures de proue du virage identitaire du nationalisme québécois. Pelletier démonttre avec aplomb comment les écrits et les conférences de l’un et de l’autre ont inspiré des groupuscules ultranationalistes québécois, notamment en s’appropriant le discours sur l’égalité homme-femme afin de redéfinir dans le cadre restreint de politiques nationalistes de repli face à un islamisme fantasmé.

Pelletier offre une analyse bien informée; toutefois, elle peine à dépasser le diagnostic d’un «bon« et d’un «mauvais» nationalisme. Peut-être est-ce ici que l’élément biographique – sa nostalgie et sa déception face aux transformations du PQ – fait trébucher une partie de son analyse. L’ouvrage se termine avec quelques observations succinctes sur la culture québécoise d’aujourd’hui, dont cette proposition rafraîchissante: le français ne sauvera pas le Québec, pas plus qu’un «faux vernis de laïcité», mais la «survie dépendra de la vivacité et du dynamisme du melting pot franco-québécois» (p. 212). Reste à voir si nous sortirons de «l’ère du pédalo» où, selon l’auteure, tout le monde sourit sans que rien ne change.


Martin Parrot, Relations, no 823, hiver 2023-2024.

 

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