Santé fragile
Dans les pays riches en général et au Québec en particulier, le réseau de la santé s’apparente à un tonneau des Danaïdes. On a beau l’engraisser, le financer et l’étendre, il perd de partout et ne suffit jamais à la tâche. Tout le monde veut aller au ciel, mais personne ne veut mourir, disait-on hier. Aujourd’hui, alors qu’on ne croit presque plus au ciel, on veut encore moins mourir et on compte, pour nous sauver, sur les médecins, de plus en plus inaccessibles. On a donc la santé, physique et mentale, fragile.
Ce problème a-t-il une solution ? Les divers partis politiques rivalisent de propositions en la matière. La Coalition avenir Québec compte sur l’idée des guichets d’accès à la première ligne pour rendre les soins, plutôt que les médecins, accessibles. L’idée est bonne, mais reste à concrétiser. Le Parti libéral du Québec fait la même promesse depuis vingt ans : un médecin de famille pour chaque Québécois. Qui y croit encore ?
Le Parti québécois et Québec solidaire (QS) proposent de faire des CLSC la porte d’entrée du système et de tasser le privé — les cliniques et les agences de soins — pour mieux coordonner l’ensemble du réseau. Excellentes idées, tout comme celle, émanant de QS, de fonder Pharma-Québec et d’instaurer un régime entièrement public d’assurance médicaments, mais on entend déjà la résistance se lever, nourrie par les propositions du Parti conservateur du Québec, partisan de plus de privé en santé.
Je ne sais lesquelles de ces propositions s’imposeront dans les prochaines années, mais une chose m’apparaît certaine : elles créeront nécessairement de l’insatisfaction puisque, dans ce domaine, par essence, la demande dépassera toujours l’offre.
Ce constat fataliste ne doit toutefois pas entraîner la résignation. Il demeure possible, malgré tout, de faire mieux que ce qu’on fait maintenant. C’est d’ailleurs dans cet esprit, lucide mais volontaire, que s’inscrit l’urgentologue Alain Vadeboncoeur en publiant Prendre soin (Lux, 2022, 148 pages), un court essai qui, pour redonner un peu d’oxygène au système de santé québécois, se donne pour mission « de proposer des orientations sans verser dans l’utopie ».
La multiplication des grandes réformes administratives, depuis cinquante ans, n’a pas fait de miracles et a surtout engendré de la confusion. Agissons, dit Vadeboncoeur, mais avec prudence, en opérant les modificationset les changements de mentalité susceptibles d’améliorer les choses.
Premier constat à retenir : le réseau souffre d’un « déficit humain » ; il manque de médecins, bien sûr, mais aussi d’infirmières, de préposés et de personnel dans toutes les catégories. Combler ce déficit coûtera cher. Courageux, Vadeboncoeur n’hésite pas à écrire que, pour y arriver, il faudra non seulement en finir avec les irritants que sont le temps supplémentaire obligatoire — qui fait fuir le personnel — et le recours au personnel des agences de soins — une solution qui prétend régler le problème qu’elle cause —, mais aussi moins payer les médecins pour en avoir plus.
À cet égard, il faut déplorer la course aux baisses d’impôts qui caractérise l’actuelle campagne électorale. « Pour une province qui crie famine auprès d’Ottawa pour le financement de la santé, disons que le message est équivoque », notait justement la chroniqueuse Emmanuelle Latraverse dans Le Journal de Montréal du 30 août dernier.
Une autre urgence s’impose : faire donner les bons soins par les bons soignants. Est-il normal que je doive voir un ORL pour faire retirer le cérumen de mes oreilles ? Que les enfants en santé soient convoqués chez le pédiatre pour un simple suivi ? Que des médecins en pratique privée perdent encore du temps avec des bilans annuels de santé proposés à des bien-portants ?
Comme citoyens, nous avons aussi notre part de responsabilité. Notre peur panique de la maladie grave nous pousse souvent à consulter inutilement au moindre malaise mineur et à exiger des tests et des prises de sang dont l’efficacité médicale n’est pas avérée dans une logique préventive.
Notre obsession du dépistage, nourrie pendant des décennies par un discours médical alarmiste, engorge le système sans effets bénéfiques sur la santé, sauf chez les personnes ayant des facteurs de risque ou de réels symptômes. Ceux qui en doutent devraient lire, pour s’en convaincre, Le surdiagnostic (PUL, 2012) et Le dernier des bien-portants (PUL, 2008), de solides essais sur la question respectivement signés par les médecins américains H. Gilbert Welch et Nortin M. Hadler et brillamment relayés, au Québec, par le regretté docteur Fernand Turcotte.
Vadeboncoeur, avec raison, craint les grandes promesses de réforme du système de santé, trop belles pour être vraies. Ses propositions, bien plus nombreuses que celles présentées ici, peuvent avoir l’air trop modestes,mais elles ont, en plus du courage, le mérite de la faisabilité.
Louis Cornellier, Le Devoir, 17 septembre 2022.
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