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24 janvier 2016

Rue89, Blogue American Ecolo, 2 mai 2010

Livre référence:
Révolutionnaires du Nouveau Monde

Ces Français qui voulaient faire la révolution aux États-Unis

Luttes sociales, luttes écologiques : pourquoi ces luttes suivent-elles des voies si désespérément parallèles ? Le livre de l’historien Michel Cordillot, Révolutionnaires du nouveau monde, ne répond pas plus à la question qu’il ne la pose. Mais l’actuel contexte américain, chargé en catastrophes industrielles, oblige à entrelarder sa lecture de questions annexes.

Cette extrapolation est très personnelle. Sinon, comment un ouvrage sous-titré Une brève histoire du mouvement socialiste francophone aux États-Unis (1885-1922) se trouverait-il chroniqué ici dans American Ecolo ? Le lien est ténu, mais pourtant solide. Il mêle émigration, intégration culturelle, immersion politique, constat écologique et social.

Le mazout engluant le golfe du Mexique relègue déjà aux oubliettes la mort des onze employés de la plate-forme pétrolière. À l’inverse, le sort des 29 mineurs de Virginie occidentale victimes d’un coup de grisou le 6 avril a encore une fois occulté les ravages de l’industrie du charbon sur l’environnement, notamment sur les montagnes des Appalaches.

Les populations les plus touchées par les pollutions sont toujours les déclassés, les minorités, les sans-grade. Aux États-Unis, il y a un terme pour cette situation particulière : « environmental justice ».

Il est vrai qu’à l’époque des agitateurs sociaux dont Cordillot raconte l’histoire, ces sujets-là n’étaient évoqués par personne. Maintenant, on sait : on ne devrait plus oublier l’écologie quand on se pique de social.

Les immigrés d’hier sont devenus l’élite

Aujourd’hui, les immigrés d’Amérique, héritiers naturels de ceux évoqués dans ce livre, travaillent rarement sur les champs pétroliers, gaziers ou dans les mines de charbon. Ces jobs sont réservés à une élite ouvrière locale, elle-même descendante d’immigrés européens, qui n’échangerait surtout pas son sort contre celui des Latinos cantonnés aux chantiers du bâtiment et des routes.

Leurs avantages sociaux ont été arrachés de haute lutte aux compagnies américaines par des hommes obstinés et courageux qui, dès la fin du XIXe siècle, surent s’organiser et faire plier propriétaires, patrons et gouvernement. Leurs conditions de vie étaient alors épouvantables.

La plupart de ces travailleurs venaient, seuls ou en famille, d’une Europe qu’ils avaient fuie en croyant trouver mieux en Amérique. Le livre rappelle un fait communément ignoré :

« Si les travaux historiques bien informés mentionnent, de manière souvent assez détaillée, le rôle joué dans l’histoire sociale des États-Unis par les immigrés de diverses origines (Allemands, Irlandais, Italiens, Juifs, Bohémiens, Finlandais ou encore Russes), ils restent en général désespérément muets sur celui des Français. »

Michel Cordillot connaît bien son affaire. Professeur à l’université Paris-VIII, il est un grand spécialiste des luttes politiques en général, et surtout de l’Amérique contestataire. C’est lui qui a coordonné et rédigé La Sociale en Amérique, paru en 2002, sous-titré Dictionnaire biographique du mouvement social francophone aux États-Unis, 1848-1922.

Un temps où le capitalisme était très sauvage

Ils ont été des dizaines de milliers de Français, Belges et Suisses à participer au peuplement post-industriel du nouveau monde. Sans compter les Canadiens de langue française contraints d’aller travailler « aux États » pour nourrir leurs familles.

Dans ce nouvel ouvrage, Cordillot raconte une histoire particulière : non pas celle de tous les immigrés francophones, mais celle des leurs qui militaient pour une révolution anarchiste, à une époque où le capitalisme américain était encore plus sauvage qu’aujourd’hui.

On a peut-être du mal à le croire aujourd’hui, mais ces anarchistes français étaient partis nombreux en Amérique du Nord. Ils voulaient renverser les rapports de force entre oppresseurs et opprimés et, accessoirement, libérer les femmes de leur joug. Au tournant du siècle, cependant, ils s’aperçoivent que :

« […] L’activisme anarchiste est voué à l’échec parce que trop isolé, et que seule une action collective peut produire ces améliorations immédiates dont les mineurs ont tant besoin. »

D’investissement syndical en création de coopératives et autres secours mutuels, de débats théoriques en collaboration et confrontation continue avec d’autres révolutionnaires américains, la grande majorité de ces militants se rendent à l’évidence : l’action politique, donc électorale, est essentielle pour changer la vie.

La religion omni-présente rend fous les Français

Au sein du nouveau Parti socialiste américain, créé en 1901, ils veulent conserver leur place spécifique de francophones. Certaines caractéristiques de la société américaine les rendent fous, comme cette manie de tout voir au travers du prisme religieux. En outre, bien peu des leurs entendent correctement l’anglais.

Ils sont aussi terriblement nostalgiques des débats théoriques très français. Ils reçoivent quelques journaux de France, mais surtout, ils ont leur propre presse. Plusieurs titres se succèdent, et celui qui dure le plus longtemps est L’Union des travailleurs : quinze ans de longévité, jusqu’à la Grande Guerre.

Le livre met en exergue l’histoire de Louis Goaziou, originaire des monts
d’Arrée en Bretagne, débarqué à Philadelphie en 1880 à l’âge de 16 ans,
locuteur de breton. Grâce à l’action communautaire, politique et journalistique proprement stupéfiante de cet ancien mineur devenu journaliste et imprimeur, Michel Cornillot et d’autres historiens ont pu chroniquer l’évolution politique et la vie quotidienne des francophones installés aux États-Unis.

Avec la Première Guerre mondiale s’achève la saga des révolutionnaires français du nouveau monde. Contrairement à leurs camarades d’origine allemande, bien plus nombreux dans les instances dirigeantes du parti et des syndicats, les francophones n’ont pas pu se résigner à rester pacifistes et neutres.

Oublier l’arrière-grand-père anarchiste ou socialiste

Beaucoup sont rentrés au pays. D’autres, comme Goaziou, ont poursuivi autrement leur œuvre militante, s’intégrant, à leur façon, dans la société américaine. Leurs descendants ont fini par oublier (ou voulu oublier) que leur ancêtre était un anar, un rouge, un socialiste bien avant la révolution russe.

Alors, ce lien avec les luttes écologiques, où est-il ? Je le vois sous-jacent, sous les thèmes de l’immigration, de l’énergie, de l’eau, des pollutions délirantes qui affectent certains territoires des États-Unis où vivent des millions d’hommes et de femmes.

Parce que les amis de Goaziou avaient en tête de combattre les injustices générées par le capitalisme sauvage, ils ont été réticents envers les syndicats de métier, corporatistes, attachés à défendre les intérêts particuliers d’un groupe, au détriment d’une vraie révolution sociale.

Ils avaient raison. La vision à court terme, celle du petit bout de la lorgnette, est aujourd’hui encore ce qui pourrit le progrès social et environnemental.

Hélène Crié-Wiesner, Rue89, blogue American Ecolco, 2 mai 2010

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