Rue Frontenac, lundi 11 avril 2011
Livre référence:
Elles ont fait l’Amérique
Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque – Voir l’histoire à l’envers
On raconte parfois des histoires pour endormir les gens. Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque nous racontent des histoires pour nous réveiller.
Du moins les histoires que le couple vient de coucher sur papier dans Elles ont fait l’Amérique – De remarquables oubliées Tome 1.
Tirées évidemment de la série éponyme diffusée sur les ondes radio de Radio-Canada, ces histoires avec un h minuscule nous racontent la petite Histoire, avec une majuscule, de l’Amérique. On parle ici « d’infra-infra-histoire », dit d’ailleurs l’anthropologue en entrevue.
Car si l’histoire officielle est écrite par les vainqueurs, il s’agit, ici, des histoires de vaincues de vaincus. De remarquables oubliées, certes. Mais souvent aussi ostracisées ou jetées dans l’oubli à dessein. Doit-on voir un geste politique dans la publication de ce livre, dans la réhabilitation de ces femmes ?
« Un geste éminemment politique ! tonne Bouchard de sa voix de canyon. Toute la série, diffusée sur les ondes nationales, est politique. Elle est marquée par une quête identitaire… Depuis l’âge de neuf ans que je suis indigné. Indigné par ce nationalisme francophone québécois limité entre Trois-Rivières et Bécancour, alors que mon territoire, moi, va de Santa-Fe au Grand-Lac-des-Esclaves. »
Mythe identitaire
Ses héroïnes aussi occupent ce si vaste territoire. Car pour Serge Bouchard, nous sommes des Américains. « Toute ma vie on a tenté de me convaincre que j’étais un Franco-Québécois, de m’enfoncer le mythe identitaire dans la gorge », dit celui qui voudrait voir la fleur de lys, symbole de la monarchie française, remplacée par une épinette noire penchée sur notre drapeau national.
Notre identité, ce n’est donc pas sur l’enclume de la France qu’elle a été forgée, mais sur celle de l’Amérique. L’Amérique que les quinze femmes du livre ont « fabriquée », chacune à sa façon. De cette courtepointe naît ce qu’est vraiment notre pays. Notre ADN.
Dans ce premier tome de ce qui est annoncé comme une trilogie, Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque cherchent donc, en sortant ces femmes du silence – l’anthropologue affirmait lors de la causerie qui a suivi l’entrevue que « l’histoire passe par ce qu’on ne dit pas » –, le couple cherche, donc, à réécrire notre histoire.
Marie-Christine Lévesque parle d’ailleurs d’histoire parallèle. « Je crois qu’il s’agit d’un travail de réparation, de reconnaissance, de renversement de la vision historique », dit-elle.
Réparation envers ces femmes, souvent autochtones, parfois métis ou noires, dont le rôle a été oublié sur les hautes tablettes de l’Histoire. « L’histoire officielle n’a retenu que des saintes, des recluses, des femmes qui se flagellent… », dit l’ancienne publicitaire, qui partage la vie de Serge Bouchard depuis une quinzaine d’années.
L’histoire est un mensonge
On ne parle donc pas de l’Histoire officielle, celle « écrite par les lettrés, les aristocrates », mais d’une vision de l’histoire. Une vision personnelle, préviennent les auteurs.
« Toute histoire n’est qu’un mensonge. La nôtre, l’officielle, est écrite par des menteurs anglais et des menteurs français. Ici, il y a une revendication claire et nette : c’est notre menterie », dit Serge Bouchard avec un sourire espiègle.
Ce sourire et cette voix qui nous berce quand on l’entend, vous le verrez, vous l’entendrez au fil des pages de ce livre. Ce sourire et cette voix portent les aventures de ces femmes. Ces Shanadithit, Françoise-Marie Jacquelin, Marie-Joseph-Angélique, Marie Iowa Dorion… toutes ces femmes sorties, enfin, de l’ombre.
Ceux qui douteraient encore des motivations, à tout le moins des préoccupations politiques des auteurs doivent savoir ceci : le troisième et dernier tome de la série portera comme titre Ils ont perdu l’Amérique.
Elles ont fait l’Amérique – De remarquables oubliées Tome 1, de Serge Bouchard et Marie-Christine Lévesque. Lux.
Écrit par Patrick Gauthier, Rue Frontenac, 11 vril 2011