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24 janvier 2016

Revue Laval théologique et philosophique, 3 octobre 2009

Livre référence:
Petit cours d’autodéfense intellectuelle

Recensions

Normand BAILLARGEON, Petit cours d’autodéfense intellectuelle. Édition revue et corrigée. Montréal, Lux Éditeur (coll. « Instinct de liberté »), 2006 [2005], 337 p.

Professeur en sciences de l’éducation à l’UQAM et par ailleurs écrivain engagé, Normand Baillargeon a déjà publié plusieurs ouvrages dans la continuité des écrits de l’intellectuel américain Noam Chomsky, qui est d’ailleurs respectueusement cité dans le présent ouvrage (p. 308). Mis en nomination pour le « Prix du Public » au Salon du livre de Montréal en 2006, ce Petit cours d’autodéfense intellectuelle a déjà connu trois réimpressions à ce jour et fait partie depuis quelques années des ouvrages recommandés dans les cours de philosophie de certains cégeps. L’ouvrage se veut une introduction à la pensée critique (« Critical Thinking ») telle qu’on l’enseigne aux États-Unis, mais librement adaptée pour le contexte québécois.

La première partie du livre présente les bases de la logique, de l’argumentation et de la pensée critique en amenant le lecteur à manifester la plus grande prudence face aux discours des médias, au
jargon des intellectuels, aux statistiques déformées, aux démonstrations mathématiques édulcorées.
Loin de tout condamner en bloc, l’auteur fait appel à notre discernement et propose de nombreux exemples de théories contestables, à la suite de la fameuse « Affaire Sokal » qui avait mis à jour
l’incohérence des théories les plus en vogue dans le domaine des sciences humaines (p. 46). Dans leur ouvrage intitulé Impostures intellectuelles (Paris, Odile Jacob, 1997 ; 2e édition, Paris, Le Livre
de Poche, 1999, qui remporta un grand succès aux États-Unis), les auteurs Alan Sokal et Jean Bricmont avaient démontré que plusieurs textes des penseurs les plus « à la mode » durant les décennies
récentes (comme Baudrillard, Deleuze, Derrida, Kristeva) véhiculaient en fait une large part d’incohérence, voire de délire. Dans un but pédagogique, Normand Baillargeon poursuit son propos en
soulignant l’importance des définitions vraiment utiles et en expliquant comment repérer les sophismes et surtout les paralogismes, c’est-à-dire ces types d’argumentation qui mènent involontairement à de mauvaises conclusions (p. 55 et 74). S’adressant principalement à un lectorat pré-universitaire, il explique habilement les conséquences néfastes des généralisations trop hâtives (p. 63 et 300).

Plus approfondie, la deuxième partie (sur « La justification des croyances ») contient les pages les plus accomplies de l’auteur, que ce soit à propos du doute, de l’idée de science, de la pseudoscience,
de l’expérimentation et de l’épistémologie (voir surtout les p. 225 et suiv.). On appréciera d’emblée une belle définition de la science, comprise comme étant « une manière de poser des problèmes et d’interroger le réel pour y trouver des réponses » (p. 229). En outre, cette dernière partie contient plusieurs outils pratiques et des exercices pédagogiques pour former la vigilance intellectuelle, comme ces « Quelques pistes pour une lecture critique de résultats de recherche » (p. 261) et
les « 31 stratégies pour entretenir une attitude critique par rapport aux médias » (p. 296 et suiv.). Fin pédagogue, l’auteur sait utiliser des formules faciles à retenir et réussit à construire des tableaux récapitulatifs souvent pratiques. À la suite de l’auteur, on comprendra que nous vivons dans un monde
où les faits peuvent être travestis ou manipulés, et que les citoyens se doivent de demeurer vigilants.

En le lisant, je repensais inévitablement à l’essai de François de Closets sur un thème similaire, intitulé La grande Manip (Paris, Seuil [coll. « L’Épreuve Des Faits »], 1990). Ce livre effervescent se lira mieux à petites doses. La bibliographie est généreuse, mais plusieurs des citations et exemples des premiers chapitres sont exposés sans notes ni références en bas de page (p. 108, 140, 182, 187, 216, 233). Il faudrait que le lecteur éventuel puisse remonter aux sources de chaque affirmation proposée ici. De plus, la conclusion m’a semblé trop brève et devrait récapituler davantage les apports de chaque chapitre. Le style désinvolte et parfois à l’emporte-pièce de Normand Baillargeon étonnera peut-être par ses exemples inattendus (son analyse statistique de la loterie 6/49, p. 119) et, à l’occasion, dans l’usage de quelques gros mots, que je ne citerai pas
(voir p. 260). Il peut facilement passer de la démonstration la plus approfondie à l’exemple le plus prosaïque. Mais comme le prescrit l’auteur lui-même dans ses « 31 stratégies » : « Méfiez-vous de
l’influence de vos propres valeurs » et « Méfiez-vous donc aussi des auteurs de Petits cours d’autodéfense intellectuelle » [sic], voulant ainsi inciter ses jeunes lecteurs à diversifier leurs sources d’information et de lecture tout en restant attentifs aux points de vue divergents (p. 311). Nous retiendrons de ce livre imparfait ce qu’il a de meilleur à offrir.

Yves LABERGE, Revue Laval théologique et philosophique,
3 octobre 2009
Québec

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