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14 septembre 2017

La recette de nos vedettes

Dans son autobiographie «intellectuellement déguisée en essai», Hugo Meunier parle de Hugo Meunier. Lequel? Le ti-cul qui plante en vélo à cause de ses lacets coincés dans le pédalier? Le jeune homme qui se fait arrêter pour avoir corps-planché, body-surfé, sur du Counting Crows à Banff? Le reporter qui enchaîne les enquêtes avant de voir sa carrière s’écrapoutir dans ce no man’s land que sont selon lui (ahem) les pages du cahier Arts? Mais qui donc est Hugo Meunier? Et veut-on réellement le savoir? Nous l’avons tous entendu. Réinterprété en cours de philo au cégep. «Je est un autre.» OK. Mais qui?

Après avoir infiltré les allées du Walmart et les salons de massage, Hugo Meunier s’infiltre lui-même, de façon métaphorique cette fois, histoire de trouver cet autre. Lui-même. Après tout, tant de vedettes (encadrez le mot de guillemets au besoin) l’ont fait, avance-t-il. Écrire leur autobiographie. Parfois même plusieurs. Même si, d’autobiographiables, les expériences de vie leur manquent parfois.

Se moquant légèrement, se questionnant réellement, l’ancien de La Presse propose donc une réflexion sur l’obsession du «J’aime», du «Je suis», du «Voici ma vie». Tout en nous dévoilant des parcelles de la sienne.

Au fil de vos recherches, vous constatez que vous n’êtes pas un has-been, comme certaines personnes qui décident de publier le récit de leur existence. Mais plutôt un never-been. Espérez-vous, avec ce livre, devenir un been? Ou un is?

Non. (Pause) En fait oui. Tellement. C’est mon plan depuis le début. Pour avoir une bibliothèque à mon nom un jour.

On doit avouer qu’on est déçue. Contrairement à certaines stars ayant écrit leur autobiographie que vous interviewez dans votre livre, vous ne parlez pas de vous-même à la troisième personne.

En fait, pour l’instant, je ne suis pas sûr que Hugo Meunier soit rendu à un moment de sa vie où il peut se laisser aller du côté intellectuel. Car Hugo Meunier a beaucoup été perçu comme un cabotin. Un jour, Hugo Meunier volera de ses propres ailes. Ce jour-là, Hugo Meunier montrera qu’au-delà de la façade du beau garçon se cache un penseur qui a des choses à dire.

L’animatrice de l’émission Lire Claudia Larochelle, que vous rencontrez dans le cadre de votre enquête, remarque que les journalistes font de meilleurs biographes. Donc, un journaliste qui fait une biographie sur un journaliste, ça augmente automatiquement la qualité du récit?

C’est sûr que c’est bon! J’ai mis les chances de mon bord. J’aimerais d’ailleurs ajouter que Hugo Meunier n’est pas juste un journaliste. C’est un superjournaliste.

Didier Morissonneau, qui a lancé les Cabarets biodégradables, vous dit quant à lui que ce sont les écrivains fantômes qui écrivent les meilleures biographies. Suivant cette idée, Infiltrer Hugo Meunier a-t-il réellement été écrit par Hugo Meunier?

Non. Je l’avoue. C’est Pierre Foglia. Je n’étais pas d’accord avec tout ce qu’il écrivait. Je lui disais: «Pierre! Attention à la structure! Et surtout aux fautes! Voyons! Pierre!» Finalement, il a bien fait ça.

Vous abordez le thème des biographies de style «récit» ou «autofiction», donnant pour exemple La femme qui aimait trop, de Marc Fisher, où on parle d’un certain «Corey Spice» et de Billy Spade qui, supposent plusieurs, est en réalité Éric Lapointe. Dans ce type de livre, quel serait votre faux nom à vous?

J’enlèverais juste le H. Et j’ajouterais des trémas. Les gens n’y verraient que du feu. Ugö. Sinon, je me donnerais un prénom anglais. J’aime bien Brandon.

Nous apprenons dans vos confessions que votre plus grand coup en carrière, à savoir patiner sur les trottoirs glacés de Montréal, une histoire reprise par moult médias québécois, vous a été inspiré après une séance de fumette. Dans quel état vous trouviez-vous quand vous avez eu l’idée de vous infiltrer vous-même?

Dans mon état normal. Mais vous savez, je suis comme Obélix (et je ne fais pas de parallèle avec le poids, mais bien avec la potion). Les effets du passé sont permanents. Au cégep, un prof nous avait fait faire de l’écriture automatique intoxiqués. J’avais pris la consigne très, très au sérieux. C’était un peu merdique finalement. L’idée, c’était d’écrire sans réfléchir. Moi, j’ai pensé quand même.

Parmi les (rares) autobiographies que vous dites avoir appréciées, il y a celle de Justin Trudeau, Terrain d’entente. Qui se trouve par ailleurs à être une des seules coiffées d’une photo sur laquelle l’auteur s’est volontairement vieilli plutôt que rajeuni.

C’est vrai. Pour avoir l’air mature, pour avoir l’air crédible. Pour avoir l’air «premier ministrable». Je pense que c’était vraiment son objectif. [Le livre est paru en octobre 2014, soit un an avant son élection.] J’ai un peu copié son look, d’ailleurs.

C’est ce qu’on voulait justement vous demander: qu’est-ce que vous tentez d’accomplir avec cette pose que vous prenez sur la couverture de votre livre? Avoir de la prestance?

Je trouvais que le pastel de ma chemise faisait bon vivant. (Vous remarquerez que ça ressemble aux couleurs que Justin porte dans tous les défilés de la Fierté.) Ça me donne un air sympathique. Personne ne peut regarder cette photo et dire: «Lui, il a l’air cave.»

Vous… euh… en êtes sûr?

Mais oui! Je suis convaincu qu’en voyant ma photo, les gens diront: «Oh! Comme j’aimerais lui confier mes enfants.» Ou: «S’il arrivait un cataclysme nucléaire, c’est avec lui que j’aimerais passer du temps.»

Vous écrivez en introduction: «Pour obtenir une reconnaissance mondiale, Mandela a dû faire 27 ans de tôle, alors qu’une des sœurs Kardashian n’a eu qu’à se faire photographier avec pas de petite culotte.» Avez-vous été troublé, au fil de vos recherches, de constater qu’il n’y avait pas de juste milieu?

C’est vrai que c’est polarisé. Personne ne fait parler de lui pour avoir accompli quelque chose «de juste correct». Prenez mon père, qui a travaillé 
30 ans pour la police de Montréal. Il a une vraie bonne histoire. Mais on ne la racontera jamais nulle part.

Attention, c’est mon bout sérieux: mon livre, c’est un peu la revanche du «monde ordinaire» sur les vedettes. Ce «monde» aussi devrait avoir la chance de raconter sa vie. Elle est sûrement plus intéressante que celle de cette star qui écrit s’être fait enlever les amygdales. Récemment, dans notre journal (de Montréal), on annonçait à quel point Wilfred avait été affecté par le décès de son oncle. On est rendu aux oncles! Je comprends qu’ils étaient proches, mais on va loin pour parler de nos vedettes.

Par l’abondance de détails, dont ce récit interminable sur votre chute en bicyclette dans une rue du Laval de votre enfance qui s’étale sur genre cinq pages, souhaitiez-vous provoquer autant le rire que l’épuisement? Montrer la vacuité dont sont souvent remplies ces autobios?

Il manquait d’action dans mon bouquin. C’est donc ma scène d’action. Mais c’est surtout un hommage aux glissades d’eau de Laval. Parce que j’ai grandi là. J’ai un côté très douchebag de la Rive-Nord. Les glissades d’eau, j’adore! C’est la seule raison pour laquelle je me suis reproduit d’ailleurs: pour pouvoir y aller chaque année.

«Il faut arrêter de voir tous les éditeurs comme des intellectuels qui tiennent salon avec du thé et de l’absinthe. C’est une business. Beaucoup veulent faire du fric.»

–Ugö Meunier, rappelant que certains éditeurs aussi sont responsables de la multiplication des autobiographies de vedettes.

Dernièrement, le décès de Réjean Ducharme nous a rappelé à quel point un homme dont il n’existait que quelques photos, dont personne ne connaissait la vie privée, était estimé, respecté. Et ce, pour son œuvre. Est-ce que ça vous rassure sur le fait que, même si un artiste ne partage pas les images et les moindres détails de son existence, il peut être connu, aimé, lu?

C’est intéressant quand même. Mais Réjean Ducharme, respect, était seul sur son île. Qui d’autre se tient loin des caméras comme lui? Un super intègre qui remplit des salles par son seul talent? Peut-être Daniel Bélanger. Bon, il est sur Facebook. Mais il ne partage pas de photos de ses soupers. Ce qui m’amène à croire que moins on a de substance, moins on a de talent, plus on en beurre.

Entretien avec Natalia Wysocka, Métro, 14 septembre 2017

Photo: Mon autobiographie est meilleure que ton livre de conseils. Hugo Meunier se la joue vedette en tentant de faire de l’ombre à Pierre-Yves McSween.  © Josie Desmarais

Lisez l’article original ici.

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