Recension de Marx et la politique du dehors
Quelle part de l’humanité n’est pas encore totalement intégrée au capitalisme ambiant? Y a-t-il un espace de résistance politique au capital qui peut encore agir en tant que catalyseur des luttes sociales? Voilà le questionnement que Gavin Walker articule dans Marx et la politique du dehors. Dans une ère où la mondialisation économique se déploie sans grande résistance et où la gauche peine à formuler un projet de société alternatif, un tel questionnement est hautement à-propos.
Pour Walker, le «dehors» du capital renvoie à divers éléments de la structure sociale (travail, sexe, genre, nation), dont il ne peut faire l’économie. Autrement dit, le capital en soi ne peut produire ni réguler plusieurs aspects du monde social dont il dépend pourtant (18). Walker pose du même coup 1’omniprésence du capital. Un dehors pur du capital serait un objet fantasmé. Penser un dehors sans capitalisme c’est autrement dit se condamner à l’impuissance politique, d’où la nécessité de penser leur articulation de manière dialectique.
Dans les deux premières parties de l’ouvrage (chapitres 1 à 7), Walker revient sur le moment originaire du capital, celui de l’accumulation initiale. En effet, l’accumulation initiale instaure un ordre dans lequel les producteurs sont séparés des moyens de production par une violence légale. Sans moyens de production, les producteurs sont contraints de vendre leur force de travail et de créer de la plus-value.
En tant que force planétaire, le capital se territorialise pour capturer les éléments malléables de la force de travail. C’est dans le cadre de ce processus qu’apparaît l’État-nation. Convoquant Étienne Balibar, Walker affirme que l’accumulation initiale est productrice d’une «différence anthropologique» (141). La construction de la citoyenneté va de pair avec celle d’une subjectivité nationale (113). C’est dans le cadre de ce même processus qu’apparaît la distinction entre périphérie et colonie. Le discours de la citoyenneté sert de fondement non seulement à l’État moderne, mais aussi «à sa genèse impériale et coloniale» (135). À cet égard, s’appuyant sur les travaux de Gilles Deleuze et de Félix Guattari, Walker montre bien que l’occident est une notion abstraite dont le fonctionnement interne nécessite le recours à une territorialité extérieure. Ce schéma d’un monde divisé en régions découle d’un appareil de capture qui trace des frontières.
Cette capture s’opère ainsi: le flux des corps qui existaient auparavant sera désormais un groupe territorialisé, le flux des mots qui circule une langue nationale, le flux des rituels une culture (158). Le capital a donc besoin de ce «dehors» national pour pouvoir étendre son emprise. C’est aussi dans ce contexte que se déploie la pensée postcoloniale qui a le potentiel de devenir un lieu d’investigation militantes, pour autant qu’elle renonce au fantasme de «la plénitude de la substantialité ethnique» (253). Cette compréhension des rapports sociaux s’avère pertinente dans la mesure où elle met en exergue le rôle central qu’occupe le colonialisme dans les présuppositions épistémiques de l’Europe – et plus globalement de l’Occident.
Nicolas Gauvin, Canadian Journal of Political Science/Revue canadienne de science politique, 6 janvier 2023.
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