
Quels mots utilisent les Québécois dans leur région?
Tout le monde sait ce que c’est qu’être quétaine au Québec. Mais peu de gens savent que ce mot, dans le sens de « kitsch » ou de « d’un goût douteux », nous arrive de Saint-Hyacinthe, où il a été popularisé par les comédiennes Andrée Champagne et Juliette Pétrie, avant d’être répandu un peu partout par Dominique Michel et Denise Filiatrault.
À l’origine, le mot « quétaine » était le féminin de « quétin », un mot utilisé en France pour parler de quelqu’un qui quête. C’est en tout cas ce qu’on apprend dans le balado Comment tu dis ça ?, de la Fédération québécoise des municipalités, sur les régionalismes du Québec.
Certains mots, comme « quétaine », ont émergé d’une région pour se répandre un peu partout au Québec. D’autres ont continué à circuler en milieu local. La bardane, par exemple, est une plante invasive, aux fruits piquants, dont on ne se débarrasse pas facilement.
Daniel Lanouette, un lecteur du Devoir vivant à Shawinigan, nous raconte ce qui suit : « Je viens de Ville-Marie, au Témiscamingue, et là-bas on appelait la bardane “craquia”. J’ai habité 35 ans à Montréal et c’est là que j’ai appris le mot “bardane”. J’habite maintenant Shawinigan et ici on ne connaît pas le mot “craquia” et on n’utilise pas vraiment le mot “bardane” non plus. On dit plutôt : des “pipiques”. »
Partout au Québec, la langue a ses accents, ses régionalismes, ses expressions familières, qui resserrent les groupes et tissent un lien sonore dans les communautés.
En Beauce, on parle de « plées » pour désigner un terrain marécageux où les arbres poussent difficilement. Au Lac-Saint-Jean, le « baignage » désigne des zones touchées par la montée des eaux du lac Saint-Jean. Sur la Rive-Sud dans la région de Trois-Rivières, on dit « snout » pour parler de hockey-bottine.
« Le mot “snout” s’utilise presque uniquement sur la Rive-Sud de la région de Trois-Rivières, principalement dans le Centre-du-Québec, et parfois aussi en Mauricie, raconte le linguiste Gabriel Martin. Ce qui est plus étonnant, c’est que le mot “snout” est resté cantonné à sa région même s’il existe depuis un bon demi-siècle. On retrouve en effet ce mot dans les journaux dès les années 1970. L’origine du mot est obscure, mais il se pourrait bien que le mot “snout” soit une onomatopée qui évoque le bruit des semelles qui collent sur le sol quand on joue. »
Dans certaines villes autour du lac Saint-Jean, les « gawas » désignent des femmes qui « font ce qu’elles veulent », qui ne s’en laissent pas imposer, expliquent des femmes de la région interrogées dans le balado.
Dans Lanaudière, particulièrement aux alentours de Joliette et de Repentigny, on dit « pipos » pour parler de pantalons de jogging, ajoute Gabriel Martin. « Le mot désigne un vêtement assez informel, mais il n’est pas péjoratif en soi. » Il se pourrait, dit-il, que le terme, issu des années 1980, soit un dérivé de pyjama.
Des mots qui déménagent
Mais les mots, comme les gens, circulent aussi et déménagent.
« Je viens du Témiscamingue, région colonisée principalement par des Beaucerons et des Lanaudois à la fin du XIXe siècle, nous raconte le lecteur Arno Neveu. J’habite à Montréal depuis plus de 20 ans et quelques régionalismes apparaissent frappants à tout coup. Certains se recoupent avec l’Abitibi également, possiblement avec d’autres régions (principalement Gatineau). »
Certaines expressions qu’il cite sont familières aux oreilles de bien des Québécois, « ersoudre ou « ertontir » pour « arriver », « se faire lutter » pour « être heurté par une voiture » ou le mot « stépine » pour parler des sous-vêtements.
Fabien Cloutier s’est beaucoup intéressé aux régionalismes dans son livre Trouve-toi une vie. « Y farme pas étanche » est un exemple qui lui vient de sa Beauce natale, une expression « parfois utilisée pour quelqu’un qui ne sait pas garder un secret, une confidence ». « On m’a dit que c’est utilisé dans plus d’une région, écrit-il, mais ce qui en fait un régionalisme beauceron dans le cas présent, c’est qu’on prononce “y farme” au lieu de “y ferme”. »
Dans le balado Comment tu dis ça ?, la comédienne Ève Landry, originaire de Saint-Pascal, dans le Kamouraska, raconte pourtant que son père disait de l’« harbe », pour de l’herbe, et on y apprend qu’on dit aussi de l’« harbe » dans le Pontiac.
Or, sachez que la prononciation « a » pour « è », comme dans « Sarge » pour « Serge » ou « viarge » pour « vierge », faisait partie du parler populaire de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, selon Chantal Bouchard, qui a consacré un ouvrage, Méchante langue, à l’histoire de ces variations.
Dans son livre, Fabien Cloutier relève cette expression, qui nous viendrait de Shawinigan : « se sentir comme une truite s’u’asphatt », pour dire qu’on a très soif. Il situe à Québec l’origine des expressions « Yink à woère on woi bin » et « être su’a coche ». C’est de Drummondville que viendrait, selon lui, l’expression « c’est pas vargeux », qui veut dire « ne pas être fameux, extraordinaire, emballant ».
« Je trouve que, dans les régionalismes, il y a souvent une débrouillardise dans l’utilisation de la langue. On a développé une façon de créer des images. C’est cette débrouillardise-là que j’aimais beaucoup. Et je trouve que souvent les expressions, les régionalismes sont plus forts que le mot idéal pour dire quelque chose », dit-il. Il cite l’expression « se bâdrer », qui vient de l’anglais « to bother », que des ouvriers ont sans doute ramenée au Québec de séjours aux États-Unis.
Les mots d’antan et ceux d’aujourd’hui
Les régionalismes sont souvent associés à un parler issu de la vie rurale, et typique d’une autre époque. Plusieurs termes agricoles québécois seraient originaires de la Perche, dans le sud de la Normandie, expliquent les experts consultés dans le balado Comment tu dis ça ?. C’est de là que viendraient des mots du terroir comme « tasserie », ou le verbe « empocheter », mais aussi bon nombre de patronymes très répandus ici, comme Tremblay, Bouchard ou Gagné.
Mais au-delà de cet héritage, de nouveaux régionalismes font régulièrement surface chez les jeunes. En Estrie, par exemple, la génération des millénariaux dit « gustru » pour parler d’un truc ou d’un machin, relève le linguiste Gabriel Martin. « Parfois, ça dure le temps d’une génération, puis ça disparaît », constate-t-il.
Dans la foulée de la révolution numérique, où chacun voyage sur son écran, de jeunes internautes québécois vont adopter les expressions des youtubeurs français qu’ils suivent. Et c’est par là que des expressions comme « s’en battre les couilles » ou « avoir la flemme » se répandent au Québec.
Dans son Dictionnaire du chilleur, Jérôme 50 cite encore des régionalismes comme « chouenner », du Lac-Saint-Jean, qui signifie « dire des balivernes, fabuler, mentir ».
« Durant le XXe siècle, vraiment, on a vu une grande disparition des régionalismes, remarque le linguiste Gabriel Martin. Le français québécois s’est vraiment homogénéisé ; ça, c’est une constatation. »
Caroline Montpetit, Le Devoir, 20 juin 2025.
Illustration: Ève Laguë
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